Risen 2 était décevant, et on pouvait craindre que les développeurs de Piranha Bytes ne réussissent pas à redresser la barre malgré de belles promesses (qui, bien souvent, sont la meilleure garantie d'un ratage en règle). Équilibrage aux fraises, monde trop instancié, progression linéaire, le tout pour des hectares entiers de vide : Dark Waters était un échec sur à peu près toute la ligne, sauvé toutefois in extremis par la splendeur de son univers, la pertinence et l'originalité de ses mécaniques, en bref, par ce parfum de piraterie dans l'ensemble particulièrement séduisant... et puis, en fait, sauvé simplement parce qu'il s'efforçait d'exister, ce qui, de la part d'un studio d'artisans comme Piranha Bytes et au milieu d'une concurrence aussi impitoyable que Bioware et Bethesda, restait quand même sacrément digne de louanges. Car même si Risen 2 était foiré, il avait la dignité d'essayer de conserver l'ADN de la série tout en innovant dans ses mécaniques de jeu, en produisant quelque chose d'original et d'ambitieux conforme à son propre héritage. Un certain refus de la concession, en somme, qui, à l'heure de la prostitution tous azimuts des concepts les plus brillants sur l'autel du dieu pognon, inspire toujours un certain respect.
Et qu'on se rassure : de respect, il est toujours question avec Risen 3. Les développeurs affirmaient avoir entendu les reproches formulés à son prédécesseur, et ce n'étaient pas des paroles en l'air. Plus que le concept, c'est l'exécution de celui-ci qui a été retravaillée, de sorte à fournir une sorte de Risen 2 revu et corrigé selon les principes du premier épisode et, dans une moindre mesure, selon ceux de Gothic II et III. Bon, c'est vrai que beaucoup de choses sont attaquables dans Risen 3, à commencer par une de sérieux problèmes de gestion de la difficulté (voir plus bas), un recyclage cradingue d'une grande partie des îles traversées dans le 2 et d'évidents problèmes d'ergonomie ou d'interface. Mais avec le recul, et au fil du jeu, on apprend à considérer ces problèmes comme un mal nécessaire à la préservation de l'identité de la série et à la réalisation d'un WRPG au doux fumet d'artisanat. Ne l'oublions pas, Piranha Bytes est une structure relativement petite, qui doit faire des choix si elle veut continuer à vivre parmi d'autres studios beaucoup plus gros, et on sent bien que les développeurs ont du consentir à certains sacrifices pour maintenir leur embarcation à flot. Et, finalement, certaines de ces imperfections apparaissent comme des marques d'intelligence, des signes de bon sens quand on remarque ce en quoi le jeu excelle par ailleurs.
Cette excellence tient en deux mots : liberté et densité. Pour l'une, on se soulagera de voir que, bien que toujours techniquement instancié, Risen 3 dit adieu à la frustrante linéarité du deuxième épisode pour offrir au joueur, dès le départ, un monde presque intégralement ouvert n'imposant aucune limite à sa volonté d'explorer. Il est possible d'aller fouiner partout, de tester sans pénalité (autre que des morts stupides) la résistance des monstres ou la difficulté des quêtes, pour déterminer soi-même sa feuille de route ou même fonctionner à la "sérendipité" lorsque les conditions le permettent, façon Skyrim. Ça fonctionne assez bien, à tel point qu'on éprouve fréquemment un sentiment de perte, qu'on ne sait plus où donner de la tête. Ce qui mène à parler d'un second point, la densité, ici enfin retrouvée après un Risen 2 bien trop chiche en scénarisation... Dans Risen 3, c'est le contenu qui fait son grand retour, à base de quêtes à embranchements multiples dans tous les sens, de PNJ très nombreux dotés chacun de leur propre utilité et d'un level design très concentré. Même les îles issues de Risen 2 ont été retravaillées pour offrir un plus grand intérêt en termes d'exploration, de défi et de récompenses. Se promener est redevenu un plaisir, une sorte de drogue chronophage qui incite toujours à aller chercher plus loin, où chaque buisson, chaque pièce de maison, chaque angle de prairie ou recoin de grotte est susceptible de dissimuler un précieux artefact ou un sac d'or qu'on s'empressera d'empocher pour aller apprendre de nouvelles compétences chez l'entraîneur du coin.
Niveau gameplay, on retrouve la plus pure essence de la série Risen/Gothic, avec un double système d'attributs et de compétences, les premières se montant manuellement dans la feuille de personnage pour ouvrir l'accès à des PNJ entraîneurs qui vont faire progresser les secondes en échange d'espèces sonnantes et trébuchantes. Comme d'habitude, il existe une micro-nuance de progression par rapport aux précédents jeux de la saga, obligeant tous les joueurs à réévaluer leurs connaissances du système pour les adapter à une aventure aux enjeux légèrement différents. Comme d'habitude aussi, la relation entre attributs et compétences est extrêmement étroite et demande au joueur d'avoir assez tôt une bonne vision à long terme du développement de son personnage, ce qui n'est pas évident quand on considère la multitude de possibilités de progression. Combat : épées ou massues ? Armes à feu : pistolets ou fusils ? Ruse : vol à la tire ou langue de velours ? Sorts : magie ou vaudou ? Le jeu prend un malin plaisir à mettre le joueur-cobaye dans une situation permanente de décision, une situation infinie par sa nature même, chaque compétence étant nécessaire en elle-même (les invitations à s'en servir étant multiples et visibles) mais aussi améliorable jusqu'à un très haut niveau requérant de s'y spécialiser presque exclusivement. Il va donc falloir faire des choix, très souvent cornéliens, à l'image d'un Risen 1 qui ne rigolait pas du tout avec ça et demandait de refaire le jeu plusieurs fois pour réellement profiter des différentes facettes de son gameplay.
Pour qui connaît la saga, il y aura évidemment un grand moment de tension après une quinzaine d'heures de jeu, quand il faudra (ou, du moins, quand on pourra) choisir à quelle faction porter allégeance parmi les trois du jeu. Cette mécanique constante de la série, mise en œuvre dès Gothic II, consiste à structurer la première partie en un tronc commun, où le joueur se familiarise avec les différents styles de jeu afin qu'il puisse planifier le développement de son personnage et donc cibler l'expérience la plus attirante à ses yeux. Ici, cette "contrainte" se montre toutefois plus souple, dans la mesure où rejoindre une faction ne ferme pas vraiment d'arc scénaristique tout en laissant au joueur la possibilité de s'améliorer dans des compétences normalement maîtrisées par des factions qui ne sont pas la sienne. De la structure "arbre" de Risen, on passe ici à une construction tout aussi enchevêtrée, mais où les passerelles sont désormais possibles. On sent ici la décision des développeurs de moins contraindre la progression, une décision sans doute dictée par la mode actuelle qu'on pourra encore regretter mais qui se trouve cependant justifiée par le scénario, toutes les factions se retrouvant unies contre un ennemi commun. À ce titre, soulignons l'habileté toujours inégalée de Piranha Bytes quand il s'agit de dépeindre un monde aux enjeux humains et politiques à la fois complexes, réalistes et facilement appréhendables. Si la trame reste simple dans l'absolu, elle reste narrée et traduite en quest design de façon absolument brillante. L'ensemble est moins percutant que Gothic 2 ou Risen 1, mais reste particulièrement impressionnant dans le paysage contemporain du WRPG, surtout quand on considère le nombre hallucinant de quêtes que renferme le jeu. Là encore, les plus critiques pourront y voir une course au contenu qui, on le sait, est la marque de fabrique des développeurs industriels les moins respectables, mais l'équilibre entre exploration, dialogues et prise de décision, qui avait été perdu de vue dans Risen 2, est retrouvé et remis au premier plan de l'expérience. Ce n'était pas évident de booster la densité en quêtes d'un univers immense tout en les maintenant cohérentes avec l'esprit de la saga : ce pari, Piranha Bytes l'a pourtant gagné.
Pour illustrer la qualité d'écriture de Risen 3, on pourrait en faire un walkthrough. Tout est explicable, cohérent, prévisible, mais dans le bon sens : les quêtes ont été écrites pour être à la fois claires et pleines d'enjeux. Le contenu véritablement gargantuesque en quêtes de tous genres, qui renvoie à Gothic 3, fait que toutes ne se valent pas, mais cette irrégularité dans le quest design est limitée par le soin extrême qui a été apporté au world design. Non content d'être d'une beauté envoûtante la plupart du temps, le monde a été construit de sorte à proposer au joueur un défi constant, de l'inviter toujours plus avant à l'exploration et à la prise de risque. Chaque mètre carré de décor contient son danger, sa récompense, son point d'intérêt plus ou moins caché qui fait que l'exploration est non seulement attrayante (les différentes îles sont bien fichues visuellement) mais surtout systématiquement "rewardant". En or, notamment, la grande ressource ici remise au premier plan, qui s'acquiert difficilement et qui est indispensable pour faire progresser son personnage. L'équilibrage entre l'or récupérable par les quêtes ou l'exploration, et le coût de la progression, est par ailleurs globalement très précis et oblige le joueur à prendre des risques ou à véritablement s'investir pour déverrouiller de nouvelles compétences, dont il ne ressentira que mieux l'utilité une fois déverrouillées.
On touche ici à un gros problème, la valeur relative des compétences entre elles. Cela a été dit partout, les combats du jeu sont trop faciles. C'est vrai. Le joueur peut toujours avoir, avec lui, un PNJ ami qui se bat bien et a tendance à attirer l'aggro des ennemis. En plus de cela, l'esquive, disponible d'entrée de jeu, permet d'éviter presque tous les coups. Ce système est certes contrebalancé par des attaques de groupe très fréquentes (par poignées de 2 ou 3 ennemis simultanément) ainsi que par une rapidité des coups adverses particulièrement tendue à bas niveau (obligeant, en début de partie, à laisser son acolyte faire presque tout le boulot), mais le problème est réel. Plus grave, les développeurs ont "oublié" de faire monter les ennemis en puissance au fil du jeu, contrairement à la tradition de la saga (et à un bon sens primaire de game design...). Ainsi, on retrouve l'habituel découpage du jeu en chapitres, sauf que ce sont les mêmes ennemis, avec les mêmes statistiques, que l'on retrouve d'un chapitre sur l'autre. Ironiquement, c'est au moment de rejoindre sa faction, soit environ à la moitié du jeu, que le rythme déraille et se calque sur une sorte de monster-bashing trop facile. Il est certes possible de régler la difficulté du jeu en mode Difficile, mais l'absence de ce réglage au lancement de la partie (on le choisit seulement à la volée dans les options en cours de jeu) et aussi l'absence de succès ou de récompense spéciale pour jouer dans ce mode rendent la pilule difficile à avaler. Si les compétences de combat sont importantes à monter au début, elles deviennent rapidement facultatives. Il en va de même pour les compétences de charisme, ici curieusement sous-exploitées par rapport aux précédents Risen et demandant souvent un gros investissement pour des récompenses rares et minimes. Il y a, aussi, quelques tentatives de diversifier la thématique "pirates" qui tombent un peu à l'eau, comme les batailles navales ou les interactions avec l'équipage de son navire (à la Mass Effect) qui arrachent quelques sourires, sans plus.
Pour autant, ces reproches ne suffisent pas à ternir véritablement l'aura de Risen 3. Flamboyante, la première moitié du jeu (ou les deux premiers tiers, selon le temps qu'on met à devenir puissant) ne souffre de presque aucun reproche : les quêtes sont variées et plaisantes, la densité scénaristique est à tomber, le gameplay s'illustre par un équilibrage et une exigence à peine ternis par le manque de défis des combats. Pendant environ vingt heures, Risen 3 est un enchantement, que ce soit en termes de mécaniques, de sensations de jeu ou même de réalisation, avec des décors absolument magnifiques (sur PC) qui témoignent d'une recherche artistique particulièrement poussée. Chaque île possède sa propre personnalité, la densité de la végétation, la beauté des couleurs et la discrète classe des éclairages donnent à chaque zone un attrait singulier, largement supérieur à Risen 2. Les nouvelles îles, notamment, à la structure et à la colorimétrie très élégantes (on pense un peu au King Kong de Michel Ancel, ou à Gothic 4: Arcania) sont franchement éblouissantes et donnent envie de s'y aventurer toujours plus profond, que ce soit Calador ou Kila, qui à elles seules surclassent la superficie de Risen 2 tout entier, en proposant un contenu bien plus conséquent et en faisant montre d'une science du world design sans commune mesure (renvoyant davantage à Gothic 3). Les dix dernières heures de jeu sont, malheureusement, beaucoup plus communes, bien qu'elles permettent d'accéder à de nouvelles zones absolument magnifiques.
Si les développeurs avaient réglé plus précisément la courbe de difficulté ou avaient fait intervenir des ennemis plus puissants à mi-parcours, Risen 3 se serait probablement imposé comme un WRPG indispensable et l'un des meilleurs représentants de la série. A l'image de Gothic 3 en son temps, il n'est pas exclu qu'une poignée de passionnés triture le code du jeu pour pondre une version Enhanced qui viendra corriger ce problème vraiment ennuyeux. En l'état pourtant, Risen 3 reste largement digne de louanges, et reste même totalement recommandable pour les fans de la série qui avaient été déçus par le deuxième épisode. Quant à ceux qui ne connaîtraient pas encore la philosophie du WRPG "à la Piranha Bytes", c'est une belle occasion pour se lancer : moins exigeant que Risen 2 ou les premiers Gothic, cependant très pertinent dans ses mécaniques et dans son équilibrage de départ, et bien sûr très beau et plutôt agréable à prendre en main, Titan Lords est la porte d'entrée idéale à l'univers Gothic/Risen. Le roi est de retour, affaibli peut-être, mais il est bel et bien de retour.
[MAJ, 10/02/15 : Le patch 1.20 qui vient de sortir ajoute un mode de difficulté Ultra diminuant l'efficacité de l'esquive et ajoutant un cooldown pour l'utilisation des potions.]
[MAJ, 21/08/15 : La version Enhanced débarque officiellement, les fans peuvent rajouter un point.]