Voilà un jeu d'infiltration généré procéduralement. Quoi d'autre ? Rien. Le jeu a bâti sa hype sur l'identité de son créateur, Jim Rossignol, fondateur du site Rock Paper Shotgun, un canard de jeux vidéo britannique plutôt réputé dans le milieu. Il n'en a pas fallu plus pour enflammer le Kickstarter du projet et faire parler les journalistes spécialisés. Comme souvent dans ce genre de situation, on ne se pose pas vraiment la question de l'intérêt intrinsèque du jeu, qu'il fasse parler de lui est presque en soi un gage de qualité. Et, forcément, vu le pedigree du développeur, si on s'y connait un tant soit peu, on a envie de voir à quoi ça ressemble, on l'achète. Et, une heure plus tard, on se dit : ah ! quinze dollars fichus en l'air. Enfin, il y a sans doute pire : au hasard, faire partie des backers du projet, auxquels on avait vendu un jeu moderne et ambitieux, et qui n'est en fait ni l'un, ni l'autre. Et ce n'est pas faute d'avoir attendu la fin de la période de développement, vu que le jeu est officiellement disponible dans sa version finale depuis une semaine.
Vous contrôlez donc un personnage qui a pour objectif de ramasser des objets disséminés dans une sorte d'environnement ouvert sans se faire prendre par les ennemis qui sont à sa recherche. Pour la partie infiltration, faites simple : debout, accroupi, un indicateur de visibilité, une vague gestion du son qui n'existe qu'en position debout (encore que). Une touche de course, une touche de saut. Une poignée d'items servant à détourner l'attention de l'IA. En vérité, les ennemis ne sont pas du tout à la recherche du joueur, ils se promènent simplement, mollement, comme tout autre PNJ de jeu d'infiltration lambda. Après quelques tours de roue (essentiellement passés à se délecter d'une esthétique plutôt inhabituelle et réussie) un premier constat s'impose : c'est emmerdant. Il n'y a pour ainsi dire rien à faire. Ni exploration (on voit tout autour de soi), ni action (se battre est presque synonyme de mort), ni réflexion (il suffit de contourner les ennemis en faisant de longs détours par les champs pour parvenir à ses fins). Un univers ne fait pas un jeu. A fortiori quand on parle d'univers ouvert et de jeu d'infiltration.
Et l'ânerie la plus fondamentale, particulièrement de la part d'un développeur journaliste, calé en culture et en analyse du jeu vidéo, est d'avoir fait un jeu d'infiltration en monde ouvert généré procéduralement. On avait un peu tiqué à l'annonce, mais enfin : dans un genre où le level design a toute son importance, où tout doit être mis en œuvre pour canaliser la progression du joueur et l'obliger à résoudre des situations précisément réglées, est-il possible que l'idée d'un jeu d'infiltration ouvert, de surcroît généré procéduralement, et donc aléatoirement, puisse réellement porter ses fruits ? Bah non, Gaston. En général, l'idée seule de discrétion dans un monde ouvert devient rapidement caduque, on le vérifie dans les Far Cry. Si en plus les niveaux sont faits au pif, ça n'a plus aucun sens. Sir, You Are Being Hunted se rétame dès lors dans les grandes largeurs : la notion même de progression est inexistante, l'unique challenge se situe dans le contournement très, très lent d'ennemis eux-même placés aléatoirement, le rythme est apoplexique, l'intérêt est nul. On ne fait rien d'autre que des demi-tours dans ce jeu, rien d'autre que des accroupissements désespérés, des randonnées solitaires et méfiantes. D'une tristesse sans nom, d'une monotonie sans égale.
Outre l'aspect random, le système de jeu est pauvre. Une poignée d'items destinés à distraire l'attention, une palette de mouvements réduite au minimum : circulez, il n'y a rien à voir. L'impossibilité de rentrer dans les bâtiments, la répétitivité des zones de jeu (construites selon une poignée de patterns qu'on connaît très vite par cœur), le manque d'originalité du comportement des ennemis, tout cela n'est vraiment pas enthousiasmant. L'univers lui-même finit assez vite par gonfler, mort, désincarné, techniquement inégal malgré les promesses que les développeurs ont formulé pendant la durée de l'early access. Plus on joue, plus on a le sentiment que le jeu a été créé pour faire parler de lui, mêler plusieurs features dont il est de bon goût de parler dans les dîners mondains : on y retrouve des fragments conceptuels de Day Z, Minecraft, The Binding of Isaac, Mark of the Ninja... mais seulement en surface, seulement dans l'enrobage, dans la publicité. Le seul domaine où Sir, You Are Being Hunted est convaincant se rapporte à son style graphique, à sa technologie de génération procédurale il est vrai assez séduisante d'un point de vue esthétique. Mais c'est vraiment tout. De cette lande aux esprits frappés, on ne retiendra rien d'autre que son éphémère beauté, le développeur ayant vraisemblablement concentré l'essentiel de ses efforts dans l'allumage et le maintien d'une hype largement imméritée. A moins que Rossignol, en (potentiel) fin analyste de l'actualité du jeu vidéo, ait choisi de plumer ses joueurs en leur vendant une sorte de worst-of des tendances indés du moment, juste pour le plaisir de leur prouver leur inconsistance ?