Geralt de Riv est un personnage fantastique, tout comme l'univers dans lequel il évolue.
Il est un witcher, donc pas une sorcière (witch), ni un sorcier (sorcerer). Cependant, sa profession, ce nom qu'on lui jette, mi fasciné, mi dégoûté, dérive de ces derniers noms : witch et sorcerer, witch-er, diminutif, pourrait être un sorcelet, ou un sourceleur, dérivant ses pouvoirs d'une source magique.
Mais c'est un sorceleur. C'est-à-dire :
- un humain transformé, un mutant qui, au terme d'un processus extrêmement douloureux, dispose de sens amplifiés, d'une force physique sans égale et, surtout, d'un métabolisme et des réflexes à proprement parler inhumains : son pouls de mutant bat quatre fois moins vite que le nôtre ; il peut supporter l'usage de potions magiques qui tueraient un humain normal ;
- c'est un être qui, lors de cette transformation, a été empoisonné, et qui aurait pu succomber à la décoction d'herbes magiques qu'on lui a administrés : un survivant ;
- c'est, en somme, un combattant létal, produit d'une torture ;
- c'est un chasseur de primes, chargé de traquer et éliminer les créatures qui menacent un village, rôdent dans une forêt lugubre, hantent une vieille tour en ruines ;
- c'est, enfin, un type qui, après une chasse harassante et, souvent, en compagnie d'une jolie dame, prend des bains dans des bassines, comme un – très – gros bébé aux cheveux blancs, couturé de cicatrices multiples : la beauté et l'humour de ces scènes récurrentes a conduit à les intégrer dans la série avec Henry Cavill, qui n'est pas mal non plus se baignant dans une bassine. Je précise qu'elles ne figurent pas dans les romans.
Mais de la série, je parlerai plus tard.
Aujourd'hui, grâce à ce jeu en open world, c'est nous qui nous transformons en mutant. Il s'agit du 3e opus : j'aimerais que les deux premiers soient mis au goût du jour, techniquement parlant. J'ai dû y jouer mais je ne me rappelle rien.
(À la question de savoir si nous avons ici affaire à un jeu de rôles, façon Donjons et dragons, je réponds catégoriquement NON : peut-être existe-t-il des JdR en ligne – enfin, dites-moi lesquels, – mais il ne suffit pas de se dérouler dans un cadre médiéval fantastique et de pouvoir gérer montées en niveau et équipement de son personnage pour voir dans un jeu comme The Witcher un tel JdR. Pour la très simple raison que l'action de tout JdR est fondée sur les décisions d'un groupe de joueurs – qui s'éloignent généralement très vite de l'intrigue du scénario prévu – et de leur maître de jeu, qui ne se contente pas de dérouler une intrigue scriptée, mais répond in vivo à ce que font les joueurs.)
Hormis, certes, la qualité de leur écriture, et l'intrigue riche dans laquelle Geralt devra trouver comment échapper à ses adversaires et aider la dame en détresse : généralement, une magicienne, pas tant en détresse que ça la plupart du temps.
Je dis "dame" là où généralement on attend "jeune fille" : bien que belles à tomber et présentant tous les attraits d'une donzelle, les magiciennes ont plus de cent cinquante ans parfois, comme la belle Yennefer, l'amour indémenti de Geralt.
Ah oui, un détail qui a son importance, ensuite je passe au jeu : l'intrigue n'est pas issue des romans de Sapkowski, le "Tolkien polonais". Elle n'est qu'une variation, comme on dit en musique, autour de cette remarquable saga romanesque.
Une saga que j'ai adoré lire, tout comme j'aime regarder la série de Netflix (toujours en cours), extrêmement fidèle aux livres quant à elle ; des romans que j'ai lus incité par le jeu et la série. Je ne l'ai pas regretté, et vous engage solennellement à vous laisser tenter.
Les personnages sont, soit issus du personnel romanesque de Sapkowski, soit créés pour l'occasion. Les interactions sont succinctes, hormis lors de rencontres ou d'épisodes scriptés.
Il est possible de distinguer la mise en place de l'intrigue, où Geralt, accompagné un temps de son mentor, Vesemir, retrouve Yennefer de Vengerberg, puis l'autre sorcière chère à son cœur, Triss Merigold, aussi rousse qu'est noire la chevelure de jais de la première, qui semble empruntée à un vol de corbeaux.
Il y aura enfin Ciri, de naissance princière, et qui devient un mixte de sorceleur et de sorcière.
(Faut pas la faire chier, donc.)
Je n'aurai garde d'oublier le baron rouge, un protagoniste truculent et au destin tragique tragique, au cœur de plusieurs quêtes qui sont parmi les plus remarquables du jeu.
Graphiquement, le jeu est daté, et on a hâte de voir enfin sa suite, le Witcher IV : d'abord annoncé pour 2022 au plus tôt, désormais pour 2025 au plus tard, c'est largement sur le rendu graphique que se noue l'impatience. Il est désormais possible que CD Projekt Red mette dix ans à réaliser une suite qui soit à la hauteur de son prédécesseur.
Au fait, une des raisons pour lesquelles le studio ne transpose pas l'intrigue des romans, ce qui de toute façon réduirait l'intérêt du jeu, tient au fait qu'il a spolié le Tolkien bis de tout droit sur les jeux : des profits colossaux engrangés, Sapkowski n'a retiré, et ne retirera en tout que les quelques milliers d'euros contre lesquels il a cédé les droits sur l'univers et les personnages des romans.
Pas très avisé, mais il semble que dans la Pologne communiste où il fut élevé, l'idée même de jeu vidéo devait être aussi inconcevable que la vétusté des PC d'alors (personal computers, pas Parti communiste, hein).
Que dire du jeu ?
D'abord, les dimensions extraordinaires d'une carte qu'on peut arpenter en chevauchant Ablette (Roach en V.O. dans le jeu), la fidèle jument du sorceleur, mais aussi à pied, en bateau — ainsi qu'en se déplaçant d'un marqueur entre deux POI.
Geralt se bat comme nous dégusterions un sachet de cacahouètes : il lui est impossible de ne pas venir à bout d'un adversaire, comme nous ne saurions laisser de cacahouètes pour "plus tard".
Il est possible, comme dans n'importe quel autre RPG, de développer ses compétences à chaque passage de niveau, et le craft, riche et très divers, permettra d'améliorer l'équipement de Geralt, mais aussi de créer ces fameux élixirs qui décuplent, un temps donné, ses aptitudes, qu'il s'agisse de vision dans le noir, de restauration de vie ou d'endurance, etc.
Rappelons que notre sorceleur est quasiment immunisé aux poisons, ce qui le rend insensible aux dangers des ingrédients de ces potions.
L'intrigue démarre très fort, et plusieurs quêtes sont à mener de front, selon le PNJ avec qui on fait alliance. Certaines quêtes reposent sur la traque et la mise à mort de monstres, qui est la mission des sorceleurs, qui ne sont certes pas là pour défendre la veuve, l'orphelin, ni la paix sur terre.
ll fait son boulot, on le paye, point ; et tant pis si la population s'en méfie et le craint, il va son chemin
Un certain nombre de quêtes FedEx attendent ceux qui veulent pour un instant cesser d'avancer dans l'intrigue, et préfèrent attendre de level up pour s'y remettre.
Il est possible, si les liens sont assez solides, d'entamer une romance avec l'une ou l'autre des magiciennes mentionnées plus haut : ce qui se traduit par des scènes de sexe, certes pudiques, mais rendues très convaincantes par leur qualité graphique.
À noter, petits saligauds, qu'un plan à trois est possible.
Cependant :
Geralt au réveil se retrouve attaché, sans armes, et à poil, les deux magiciennes s'amusant à ses dépens.
Bien, je ne sais que dire d'autre d'un jeu que nombre d'entre nous connaissent, et dont les nombreuses qualités n'ont pas besoin d'être détaillées : le nombre phénoménal de prix raflés et le nombre colossal de copies vendues — on parle de 30 millions ! — suffisent à les rappeler.
Ah, oui : la durée de vie du jeu s'étend entre 50 heures — si on speedrun la quête principale — et cent cinquante heures pour finir complètement d'explorer le monde.
Au total : si vous ne faites pas partie des 30 millions en question — j'en doute, — et si vous avez déjà joué et terminé le jeu à sa sortie, n'hésitez pas à recommencer : c'est toujours aussi plaisant, et l'impression de redite ne persiste pas.