Vanillaware, véritables artisans et garants d’une 2D somptueuse nous proposent avec Unicorn Overlord leur nouvelle création. Ce qui est intéressant avec ce studio c’est qu’ils ne s’enferment jamais dans la facilité et se risquent toujours à essayer de nouveaux genre. L’action RPG en scrolling horizontal pour Odin Sphère, le Beat Them All avec Dragon’s Crown, L’action aventure avec Muramasa, un hybride de STR avec Grim Grimoire ou encore le Visual Novel teinté de jeu de stratégie pour 13 Sentinels Aegis Rim. La seule récurrence étant ce style graphique 2D inimitable et reconnaissable au premier coup d’œil. Unicorn Overlord est lui un Tactical RPG d’Héroïc Fantasy qui succède donc à l’excellent 13 Sentinels Aegis Rim qui aura eu un beau succès d’estime. Vanillaware c’est un peu la niche dans la niche. Appartenant à Atlus qui appartiennent eux-mêmes à Sega, il s’agit d’un studio dont le fondateur George Kamitani pioche dans ses propres finances afin de mettre une rallonge au budget de ses jeux… Oui c’est à ce point. Si depuis Persona 5, Atlus fait désormais parti des incontournables et que pas mal de monde découvre leurs jeux à rebours, auparavant les jeux Atlus n’étaient pas aussi populaire alors ceux de Vanillaware imaginez bien... J’ai souvent tendance à dire que s’ils disparaissaient ce serait désastreux tant ils incarnent une vraie proposition avec de la singularité dans le paysage vidéoludique. J’irai même plus loin en disant qu’ils sont uniques même au sein du jeu vidéo japonais.
Le Tactical RPG est un genre assez particulier qui a tendance à réunir un public très féru de ce type de jeu et donc assez exigeant. C’est aussi un genre dont certains noms ressortent irrémédiablement tels des légendes et qui semblent inatteignable dans le cœur de ceux s’y étant essayés… Final Fantasy Tactics, Tactics Ogre ou encore certains vieux épisodes de Fire Emblem où le permadeath était encore la norme. Difficile de se faire une place en terrain et en cœur conquis ce qui explique que des Diofield Chronicle disparaissent dans les limbes de l’oubli aussi vite qu’ils apparaissent. Parmi les rares tentatives récentes Triangle Strategy réussissait son pari en lorgnant vers ces fameux grands noms cités plus haut. On peut aussi citer Nippon Ichi et sa série Disgaea qui a fait le choix d’un ton rigolard et de la profondeur quasi infinie de ses mécaniques. Comment se positionne Unicorn Overlord au milieu de tout ça ? En jouant la carte de l’originalité.
Chez Vanillaware on est avant tout deux choses : Des artistes (pour ne pas dire des magiciens) de la 2D et des faiseurs de systèmes.
ALGORITHMIC WAR
Exit le déplacement traditionnel en case par case, ici les troupes avancent selon nos indications comme dans un jeu de stratégie. On choisit la cible ou la destination et l’unité se met en marche plus ou moins vite selon son type (Un cavalier ira plus vite qu’un soldat / les unités volantes traversent tout sans obstacle etc…).
Quand deux bataillons (ou unités) se rencontrent c’est là que ça devient intéressant. Le combat se lance et vous n’avez plus la main, c’est automatique. Les personnages alliés comme ennemis vident leurs points d’actions (PA) jusqu’à ce qu’ils n’en aient plus et la joute s’arrête là. La singularité c’est que tout est une affaire de préparation en amont.
Pour mieux comprendre prenons les bases. Un bataillon (ou unité) c’est 6 places (3 devants, 3 derrières). Au début du jeu ils ne pourront accueillir que 2 personnages mais à terme c’est 5 personnages qui les composeront. Donc la première chose c’est de réfléchir aux meilleures synergies de classes à mettre au sein d’un même bataillon. Préférerez-vous les spécialiser ou au contraire diversifier ? Leur placement à l’avant ou à l’arrière a également son importance, chaque classe se prêtant plus ou moins bien aux premières lignes ou à l’arrière garde. Ça n’a l’air de rien mais les classes sont nombreuses et les compositions se doivent d’être bien réfléchies. Heureusement le jeu possède un excellent système de tutoriels consultables n’importe quand. Mieux encore, le jeu vous initie en douceur puisque vous rencontrerez sur la map des PNJ de chaque classe qui vous fileront quelques astuces et qui vous proposeront des combats pour tenter de les battre de la façon la plus optimale possible (en plus ça rapporte de l’argent). Enfin il vous est même possible de simuler des affrontements entre vos unités afin de tester toutes les combinaisons que vous voulez. C’est à la fois ludique, profitable et clair. Difficile de faire mieux en terme d’apprentissage.
Vous testez des combinaisons, vous faites vos premières batailles puis au bout d’une poignée d’heures le jeu vous lâche encore un peu plus la main. C’est à ce moment qu’il introduit la possibilité de paramétrer le comportement de vos personnages en combats. A la manière d’un Final Fantasy XII et ses gambits, vous pourrez décider selon quelles conditions tel personnage utilise ses compétences. Par exemple demander au soigneur de n’envoyer son soin que lorsqu’un allié descend sous les 60% de vie au lieu de le balancer dès qu’il passe sous les 100%. Si vous êtes des fous de l’optimisation autant dire que là tout est entre vos mains. Vous prenez peur en lisant ça et vous vous dites que ça a l’air trop casse-tête ? Pas de panique, un détour dans le menu des personnages et une pression de touche permet « d’optimiser » tout ça sans s’y investir. Globalement le jeu fait de bons choix lorsque vous utilisez l’optimisation d’une troupe et rien n’empêche d’optimiser dans un premier temps puis d’affiner selon ses propres gouts les quelques détails que l’on veut personnaliser.
Grossièrement, le gameplay consistera donc en amont à construire ses teams, définir leurs comportements puis les guider sur le champ de bataille.
PLACEMENT ET ENVIRONNEMENT
Lorsqu’une map commence vous possédez quelques points d’endurance (PE). Ces points ont deux usages : Ils vous permettent dans un premier temps de faire sortir des troupes de la base moyennant un point par troupe. Dans un second temps ce sont aussi ces mêmes points qui vous permettent d’utiliser des « compétences de terrain ». Les compétences de terrain sont des aptitudes que vous déclenchez directement sur la carte et qui peuvent entamer la vie d’un ennemi (volée de flèches, charges de cavaliers, sort de feu etc…) ou simplement être un sort de soin ou autre bonus passif etc... Le fait que ces ressources soient partagées vous oblige à prendre des micro décisions selon votre avancée. Est-ce plus avantageux de sortir un bataillon supplémentaire et submerger les ennemis par le nombre ou alors devrais-je soigner cette unité blessée ? Peut-être devrais-je utiliser cette compétence « provocation » qui fait sortir un ennemi de sa position stratégique ? D’ailleurs il est bon de savoir qu’il est tout à fait possible de rentrer une unité alliée et de récupérer le point qui avait été nécessaire pour la sortir. Rentrer une unité faible pour en sortir une toute neuve peut être une alternative. Vous pouvez même la rentrer et la ressortir d’une autre base fraichement subtilisée à l’ennemi à l’autre bout de la carte.
Heureusement vous ne restez pas limités à ces trois ou quatre points distribués en début de bataille, chaque combat gagné vous remplit la jauge de PE et deux combats suffisent à gagner un point supplémentaire. Conquérir une base ennemie rapporte deux points de plus. Pour ma part j’avais tendance à sortir mes unités, gagner de nouveaux PE pour en sortir d’autres puis utiliser mes PE finaux pour affaiblir le « boss » de la carte avec des compétences de terrains. C’est une stratégie comme une autre, choisissez-la vôtre. D’ailleurs ne négligez pas la compétence d’Alain, le héros, qui permet de doubler l’XP d’une unité sur son prochain combat. Quand vous savez qu’une unité va achever le boss, utilisez la pour engranger un max d’expérience.
Afin d’éviter que vous utilisiez trop souvent les mêmes unités comme c’est souvent le cas dans ce genre de jeu (on finit souvent avec quelques personnages totalement pétés qui peuvent décimer le champ de bataille quasiment seuls), le jeu choisit de limiter leur utilisation. Ainsi chaque bataillon ne peut participer qu’à un nombre limité de combats par carte. Une fois arrivé à zéro elle ne peut ni se déplacer, ni attaquer, ni riposter en cas d’attaque et il faut lui demander de se reposer. Un temps de cooldown plus tard la revoilà d’aplomb. Envoyer une unité puissante seule dans la mêlée affronter plusieurs ennemis devient vite catastrophique car si elle ne décime pas l’intégralité de ses opposants avant d’arriver à zéro points elle se retrouve à la merci des assauts ennemis. Des items existent pour pallier à ça mais je déconseille leur utilisation car ils cassent la notion même de stratégie.
Une autre donnée à prendre en compte c’est que stationner un bataillon sur un bastion, une base, une tour, un pont etc, lui octroie des bonus passifs ou en confére aux alliés à proximités. A intervalle régulier cela leur restaure même une part de vie (pour les bases uniquement). C’est souvent le cas des « boss » ou unités ennemis un peu plus forte qui se retrouvent boostées et soignées demandant ainsi un assaut total ou l’usage de compétences pour les destituer de leurs places fortes.
Autre chose à savoir et qui ne ravira pas tout le monde, les cartes sont chronométrées. Je ne sais pas si la difficulté choisie influe sur le chrono mais en difficile j’ai eu 2 ou 3 mauvaises surprises en début de partie. Là encore une ressource dans le jeu permet d’étendre le temps dans ce cas de figure et elle n’est pas si rare si vous fouillez la mini map. Pour garder le challenge je recommande à nouveau de les utiliser mais si vous ne jouez pas pour le défi, sachez que ça existe. D’ailleurs les cartes c’est un des nerfs de la guerre quand il s’agit de juger un tactical RPG. Il faut qu’elles soient variées et proposent des contraintes différentes en terme de terrain, de disposition des unités et de twists. Si les cartes annexes mineures sont plutôt basiques, les cartes principales offrent pas mal de choses intéressantes et mêmes certaines annexes. Voir des troupes débarquer à mi-parcours et se ruer vers notre base (si elle est capturée c’est game over) peut mettre des petits coups de pressions si on s’est éloigné et qu’aucun bataillon n’est encore en réserve.
CONQUERIR ET RECONSTRUIRE
Dans Unicorn Overlord on évolue librement sur une carte du monde comme dans les vieux JRPG. On déplace une version miniature de notre personnage là où on le souhaite pour arriver jusqu’à des villages occupés ou des événements qui proposent une bataille. Fait amusant on peut dès le début aller en direction des batailles finales de niveau 40 (bien qu’il soit impossible de les gagner), comme un clin d’œil à Zelda Breath of the Wild / Tears of the Kingdom. Ce qui est appréciable c’est que les batailles ne se lancent pas sans notre accord, une icône apparait simplement sur la map avec l’estimation du level nécessaire pour les réussir. Souvent une petite cutscene se déclenche lorsque vous approchez d’une bataille plus particulière, du genre qui pourrait vous débloquer un nouveau personnage. D’ailleurs des personnages déblocables il y en a une belle flopée (60+).
Sur la map vous trouverez des points de ressources à piller (bois, pierre, poisson etc.…). Lorsque vous libérez une ville ou village vous pouvez le reconstruire moyennant ces quelques ressources. Petite astuce, une fois que vous avez réparé une fois un village (obtenir la première étoile et l’anim du feu d’artifice), une nouvelle liste de ressources apparait. Ne le faites pas et gardez vos ressources pour réparer chaque ville et village au moins une fois et pas plus (vous ferez plus en endgame mais privilégiez de réparer chaque ville une fois plutôt que quelques-unes plusieurs fois). Rapporter les ressources adéquates à la reconstruction débloque or, médailles et objets divers. Médailles dit-il ?
Disons simplement qu’il y a deux types de monnaies : l’or pour les marchands (équipements / objets) et les médailles pour les améliorations de troupes/personnages. Les médailles sont des récompenses majoritairement obtenues en gagnant des batailles ou en reconstruisant. C’est avec ces médailles que vous pouvez augmenter le nombre de personnages au sein d’un même bataillon, augmenter votre total de bataillons disponible ou encore faire monter une unité à la classe supérieure. Il vous arrivera régulièrement de croiser des unités ennemies se déplaçant sur la map. Leur rentrer dedans lance un simple combat entre elle et l’unité de votre choix. Si vous réussissez à la vaincre totalement en une fois vous débloquez également des médailles (Ce qui vous apprend une fois encore de façon maligne et ludique à bien construire vos troupes). Sachez néanmoins que même si vous n’y arrivez pas, vous gagnerez leurs médailles quoi qu’il arrive en réussissant la bataille associée à leur zone géographique.
Enfin il y a également quelques petites quêtes environnementales. Elles se résument à trouver des cartes au trésor et le trésor associé, activer des stèles dans un ordre précis, reconstruire des ponts pour créer des raccourcis etc… Rien de bien transcendant mais elles ont au moins le bon gout d’être peu nombreuses et de se faire rapidement.
SOPORIFIC-FANTASY
Il faut maintenant aborder le point qui fâche à savoir le scénario et l’écriture au sens large. Sans être totalement honteuse on reste dans le très très très convenu et stéréotypé en matière d’Heroïc Fantasy. Le héros foncièrement gentil au magnétisme fédérateur ; les méchants qui n’étaient pas méchants mais juste sous l’emprise d’un sort de manipulation ; le vilain sorcier, le vilain générale arriviste… Point de nuances au rendez-vous et toute une flopée de dialogues vus et revus. Loin de moi l’idée de minimiser ce point mais Vanillaware n’est pas un studio très porté sur l’écriture. Si vous les avez découverts avec 13 Sentinels Aegis Rim c’est malheureusement le contre-exemple pour ne pas dire l’exception qui confirme la règle. Car si ce dernier est absolument excellent à ce niveau, le reste de leur production reste dans la logique que j’évoquai en début de critique : Direction artistique sublime + systèmes de jeux solides. Ce sont avant tout des faiseurs de jeux au sens le plus strict du terme. Je pense sincèrement que leur volonté est, et a toujours été, de s’inscrire dans du jeu vidéo pure en s’amusant à mélanger les genres, déjouer les codes et apporter leurs propres idées aux types de jeux qu’ils revisitent. Alors je précise tout de même mon propos, la narration n’est pas « absente » de leurs jeux ni même en retrait, elle est juste classique et je doute qu’ils ambitionnent quelque chose de pointu en terme d’écriture. 13 Sentinels a été un vrai défi à tous niveaux pour eux et Kamitani a largement expliqué qu’ils ne referaient probablement jamais quelque chose de si ambitieux. Bref une déception pour l’écriture quoi qu’il en soit sans être surpris.
Héritage de Fire Emblem, les personnages disposent d’un système d’affinités lorsqu’ils combattent ensemble et cela débloque des scénettes. Des dialogues au ton léger qui voudraient creuser les personnages mais qui pour mes goutes personnels ne fonctionnent pas. La raison étant que l’on découvre souvent un personnage lors d’une mission qui le concerne, il a ses quelques lignes de dialogues, puis pour la majorité d’entre eux ça s’arrêtera là. Ils intègrent notre équipe et ne parleront presque plus. Alors savoir que untel aime manger tel plat ou que untel s’entraine 8h par jour…. On s’en fout ? Ah et que serait un jeu Vanillaware sans bouffe ! Vous pourrez MANGER des plats ayants l’air succulent dans les différentes villes afin de renforcer ces liens affectifs.
BEAUTE & CHALLENGE
Et puisqu’il faut citer les évidences, oui c’est putain de beau comme toujours. Je trouve que leurs animations sont toujours plus fluides et complexes au fil des jeux et c’est un ravissement depuis plus de 20 ans. C’est un véritable plaisir de ne serait-ce qu’observer les personnages se rentrer dedans lors des combats ou simplement discuter pendant les cutscenes. Je trouve notamment que les visages ont bien plus d’expressions qu’auparavant. Toujours les meilleurs faiseurs de 2D ça ne bouge pas ! J’ai opté pour la version PS5 mais je pense que le support idéal reste la Switch si vous jouez régulièrement en nomade. Le jeu se prête par nature très bien aux sessions courtes/moyennes.
Un point sur la difficulté. Je ne saurai trop vous conseiller de mettre le jeu en difficile dès le départ. Je trouve ce choix parfaitement calibré pour vous « obliger » de façon fluide à appréhender et maitriser chaque système. Dans ce mode, le jeu propose un challenge qui montre les dents juste ce qu’il faut pour vous sortir de la zone de confort et qui permet surtout d’en révéler toute la richesse. Il y a bien un pic de difficulté qui débarque aux 2/3 du jeu et rien ne vous empêchera de redescendre à ce moment-là. Le titre ne brillant pas spécialement pour ce qu’il raconte il faut vraiment venir pour ses mécaniques et leurs imbrications et donc favoriser une difficulté qui les mettent en avant.
BOMBE A(U)TOM(AT)IC
Vanillaware continue d’explorer les genres du jeu vidéo en apportant quelque chose d’unique et de singulier. Un détour par le Tactical RPG couronné de succès (500K unités vendues au moment où j’écris ces lignes) qui fait plaisir pour un studio dont l’audace les a toujours relégués aux succès modestes (euphémisme) et une certaine forme de confidentialité. D’innombrables excellents choix de game-design qui lui octroie selon moi une belle place parmi les jeux du genre et parmi les jeux de l’année. Il ne lui manquait que la dramaturgie de ses ainés et des enjeux plus impliquant pour tutoyer les sommets. Les fans de tactical y trouveront un titre de grande qualité avec un vent de fraicheur. Les nouveaux venus pourront profiter de l’expertise du studio lorsqu’il s’agit de créer des boucles de gameplay prenantes. Il faut néanmoins accepter dès le départ le parti pris d’un jeu qui se joue surtout au travers de ses menus et réglages et dont on reste passif lorsque l’action surgit à l’écran. Si vous signez, c’est un petit trésor qui vous ouvre les bras pour 50 heures de stratégies prenantes et gratifiantes.