A Guérande, lors du règne de Louis-Philippe, Camille Maupin, femme écrivain, n'est pas insensible au charme de Calyste du Guénic, beau jeune homme naïf au cœur simple et pur. Mais elle s'estime trop vieille pour lui et se sacrifie en le jetant dans les bras de Béatrix, belle femme blonde, bien égoïste et acariâtre. Calyste vit dans la ville, connue pour son sel, avec sa famille, qui baigne dans une certaine nostalgie de leur grandeur passée d'aristocrate de Province, avant la Révolution et l'Empire. Il va se dérouler une longue et subtile bataille entre les deux femmes, assez rusées, pour le jeune homme, qui ne pige absolument rien, sauf qu’il est tombé amoureux fou de Béatrix. Au côté de ce trio, gravitent, outre la famille de Calyste qui craint cette situation et espère le marier avec une jeune fille de bonne famille, les amants de Camille et de Béatrix, Claude Vignon, critique d’art, et Gennaro Conti, chanteur d’opéra...
Alors, voilà, j'ai résumé aussi brièvement que possible la première des trois parties de ce Balzac. Je précise juste vite fait que le personnage de Camille Maupin est inspiré par une certaine George Sand. Voilà une anecdote si vous voulez briller en soirée... enfin, si vous arrivez à la placer évidemment. Je vais éviter autant que possible de spoiler le contenu des deux autres parties suivantes.
Euh... je vais le balancer tout de suite, Béatrix est une connasse détestable, mais surtout quand j'écrivais que Calyste est "un beau jeune homme naïf au cœur simple et pur", c'était une façon polie d'éviter de dire qu'en fait, il est très con. Vraiment vraiment très con. Un con de compétition. Parce qu'à l'opposé d'un Lucien de Rubempré, très con lui aussi au début des Illusions perdues, il n'écoute jamais, il n'apprend jamais, il n'évolue jamais, il ne s'adapte jamais. Ce n'est qu'à la toute fin qu'il change in extremis (enfin, peut-être !). Franchement, j'ai renoncé à compter le nombre de fois durant lesquels j'ai levé les yeux au ciel en pensant "mais qu'il est con, mais qu'il est con, mais putain qu'il est con !" au cours de ma lecture.
En conséquence, vous comprendrez que ce n'est pas dans ces deux êtres peu admirables et peu attachants que j'ai trouvé de la saveur dans cet opus de La Comédie humaine, mais dans d'autres éléments. À savoir déjà, les autres personnages, dont une partie non négligeable essaye d'éduquer du mieux qu'elle le peut l'autre couillon et de réparer les conséquences de ses conneries. C'est leur intelligence, leur lucidité, leur débrouillardise, leur malice, leurs bonnes intentions qui me les ont rendus sympathiques et intéressants. Reste que quand l'élève est du genre à aller constamment au coin avec un bonnet d'âne, ce n'est guère possible de l'éduquer... Ensuite, il y a quelques justes descriptions de personnalités, des fluctuations, des motivations et des profondeurs des sentiments ainsi que des manipulations amoureuses dans les recoins les plus enfouis de l'esprit humain. Ce n'est pas étonnant que ce roman fort psychologique ait été classé par Balzac parmi ses "Scènes de la vie privée" parce qu'on est réellement dans un intimisme bien intime.
Malheureusement, parfois la plume s'embrouille, trop pour se montrer claire et précise, trop pour être pleinement compréhensible, loin de la maîtrise de certains des chefs-d'œuvre de l'écrivain. J'ai retrouvé aussi ce défaut dans la description de la mécanique d'un complot mondain dans la dernière partie. J'ai saisi dans les grandes lignes comment ce dernier s'exécute, admirer la roublardise des exécutants, mais c'est trop emberlificoté à certains moments dans une redondance de détails inutiles ou, au contraire, d'un manque de détails lorsqu'il aurait fallu noircir un peu plus de lignes pour bien expliquer tel rebondissement, dans une surabondance d'autoréférences marquées (en citant directement les titres !) à d'autres ouvrages de La Comédie humaine par le prétexte de tels personnages apparaissant dans tel autre bouquin (en mode "je fais ma propre publicité parce que j'ai besoin que vous achetiez un max de mes livres étant donné que je n'ai jamais de thune et que mes créanciers veulent ma peau" !).
Pour finir, j'ai compris le principe d'une longue présentation, en introduction, du Guérande de l'époque, de la propriété des du Guénic, de cette famille, de leur passé, de leurs us et coutumes, pour que l'on soit bien plongé dans une atmosphère particulière. Mais elle prend beaucoup trop de place par rapport à son apport à l'œuvre dans sa globalité. Elle ne sert que pour la première partie et la deuxième. Mais vous me rétorquez "ouais, mais c'était la même chose pour la pension Vauquer du Père Goriot et pourtant il est dans ton top 10 livres de tous les temps !". Euh non, ce n'est pas la même chose, interlocuteur qui n'est que le fruit de mon imagination détraquée, car le fait que Balzac s'étend sur des pages et des pages à nous représenter ce qu'est la pension Vauquer est justifié. C'est un personnage à part entière de ce magnum opus, de la même importance que Goriot, Rastignac et Vautrin, et qui est là... lui... du début jusqu'à la fin. D'ailleurs, ça s'achève pour ainsi dire quand tous les locataires quittent, d'une manière ou d'une autre, cet endroit. Pour en revenir à Béatrix, de plus, ça aurait pu s'arrêter à la fin de la deuxième partie (d'autant plus qu'elle laisse sur une scène troublante et percutante !), car la troisième et dernière, par ses sujets d'intérêt trop différents et par sa trop grande palanquée de nouveaux personnages débarquant à la dernière minute (ceux du complot mondain susmentionné !), donne l'impression d'être le contenu d'un autre livre (ah, on me signale à l'oreillette que c'était le cas à l'origine, vu qu'il a été rédigé six ans après et publié indépendamment sous le titre Un adultère rétrospectif, avant qu'Honoré décide de regrouper le tout !) Donc, en plus d'être confus, fouillis, l'ensemble est aussi un poil déséquilibré.
Bref, je ne le classerai pas parmi les sommets balzaciens.