Un quart de siècle avant Dracula, il y a eu un court roman qui sera une source d'inspiration vampirique pour Bram Stoker à savoir Carmilla d'un compatriote de Stoker, Sheridan Le Fanu. Carmilla est aussi méconnu que Dracula a atteint le rang d'oeuvre légendaire, bréviaire regroupant pratiquement toutes les règles de la mythologie du vampire ; ce qui est pratiquement son seul intérêt... Oui, parce que -shocking- selon moi Carmilla est hautement supérieur à Dracula.
L'atmosphère est plus prenante, plus envoûtante. Les personnages sont plus consistants. On est angoissé du début jusqu'à la fin (alors que seule la partie du journal intime de Jonathan Harker, emprisonné dans le château de Dracula, située au tout début du roman de Bram Stoker, parvient à provoquer des sueurs froides !). Et l'ensemble sait aller à l'essentiel tout en négligeant pas la consistance.
Laura, la narratrice de sa propre histoire, est une jeune femme qui vit avec son père et quelques domestiques dans un château isolé dans des paysages sylvestres autrichiens, et qui accessoirement se fait grave chier. Un jour, un accident de carrosse a lieu comme de par hasard juste devant le château. En sort une femme qui parvient à convaincre, comme ça, le propriétaire des lieux de loger pour trois mois sa fille, la très belle Carmilla, car cette dernière serait de santé trop fragile, surtout après un tel accident, pour continuer un long voyage ; celui-ci étant urgent et ne permettant aucun retard. Et le père accepte, se laisse convaincre en trois minutes top chrono. Malgré un fond de répulsion inexplicable, Laura devient très vite amie avec la nouvelle locataire. Mais au fur et à mesure que l'histoire avance, Laura tombe dans une espèce de langueur qui la mène vers une mort programmée...
Niveau rebondissements à base de vampirisme, l'effet de surprise, du fait de la connaissance que le lecteur a aujourd'hui de toute cette mythologie, ne fonctionne plus évidemment. Mais pour compenser, ce qui fonctionne à mort, c'est un climat qui devient de plus en plus anxiogène, donc de plus en plus agrippant à mesure que l'on avance dans le récit.
Cerise sur le gâteau, on aura le droit aussi à une double lecture, à une métaphore du lesbianisme à travers le vampirisme. La protagoniste, de par son éducation, de par ses croyances religieuses et sociales, ne parvient pas à faire face ou même à reconnaître un désir "anormal", pourtant fortement suggéré à travers son écriture ; suffisamment pour qu'on trouve une pointe d'audace à l'histoire par rapport à l'époque de sa publication.
Une atmosphère oppressante du début jusqu'à la fin, des personnages bien croqués, et des lesbiennes ; en résumé, il ne faut pas hésiter à se laisser vampiriser par ce court roman...