Derrière un des titres les plus effroyables de toute la littérature contemporaine, se cache un livre extraordinaire, fondé sur le principe énoncé par André Gide : "L'histoire est un roman qui a été ; le roman est de l'histoire qui aurait pu être".
Le génie de Yalom est d'avoir senti les lignes de forces qui sous-tendent la naissance complexe de la psychanalyse, et d'avoir su inventer une fiction pour les éclairer de façon claire et fidèle. On peut donc bafouer la réalité sans la trahir !

Le roman raconte, avec un brio et un sens du dialogue impressionnants, la rencontre fictive entre Nietzsche et Breuer, qui fut un temps le mentor du jeune Freud. Trois personnages hors du commun, qui tous ont un rapport évident avec l'invention de la psychanalyse, invention que le rusé Sigmund s'appropriera pourtant avec une mauvaise foi à toute épreuve.
Yalom d'ailleurs ne se place pas en contempteur ou en juge, il se contente de remettre les pendules à l'heure. A Nietzsche revient le mérite d'avoir compris l'importance de l'inconscient dans l'économie psychique des hommes, à Freud d'avoir su relier cette présence inquiétante à la naissance du refoulement et des névroses qui l'accompagnent, et à Breuer d'avoir imaginé que la parole pouvait guérir. En s'influençant les uns les autres, ils offrent au lecteur l'impressionnant spectacle de la naissance d'une théorie révolutionnaire, qui marquera pour longtemps le rapport des hommes occidentaux envers leur propre étrangeté.

Loin du froid exposé didactique et poussif, Yalom s'amuse à inventer une histoire riche en rebondissements, un véritable roman policier sans mort et sans coupable, pour plonger au centre du mystère le plus impénétrable qui soit : le cerveau humain. On suit, haletant, la quête désespérée que mènent ces trois hommes exceptionnels, armés d'un outil à la fois solide et terriblement fragile : la lucidité.

Hymne à la philosophie à coup de marteau et à l'introspection psychologique sans compromis, jonglant joyeusement avec les concepts nietzschéens et freudiens sans jamais se prendre les pieds dans le tapis, "Et Nietzsche a pleuré" est un joyau d'intelligence à dévorer de toute urgence !
Chaiev
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le 8 mars 2011

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