J'ai détesté Gagner la guerre.
J'avais plutôt apprécié Janua Vera, bien que le style, la syntaxe, et même l'histoire des différentes nouvelles m'aient paru très inégaux. Mon opinion sur le style de Gagner la guerre est la même, mais étalé sur près de 700 pages, l'insistance de l'auteur pour écrire des phrases longues, alambiquées, et remplies d'un vocabulaire certes recherché, mais dont l'utilisation gratuite donne l'impression qu'il est simplement là pour être jeté à la figure des lecteurs/lectrices m'a tout bonnement gonflée. Le style m'a donc rapidement paru pompeux et lourd, avec une syntaxe qui en devenait parfois maladroite (n'est pas Proust qui veut). Utiliser un vocabulaire travaillé pour refléter une époque est une bonne chose, mais dans ce cas j'avais plutôt l'impression que l'auteur blindait ses phrases en utilisant un dictionnaire des adjectifs obsolètes pour se donner un style, et tombait dans le piège de rendre ledit style complètement artificiel.
Mais ce n'est pas ce qui m'a le plus dérangée dans ce livre. Employer un narrateur peu fiable, OK. Construire un antihéros à la morale douteuse, OK. Baser son histoire sur un personnage "en nuances de gris" (ce qui a souvent été dit de Benvenuto Gesufal), pas de problème. Mais ce n'est pas ce que fait Jaworski. Il écrit un roman sur un violeur misogyne, homophobe et raciste. Il n'y a pas la moindre trace de bonté ni de morale dans ce personnage, et bien que je défende totalement le fait que ce type de personnage puisse exister, en revanche je trouve très grave qu'il n'y ait pas la moindre dénonciation de ses actes, que ce soit dans l'histoire elle-même ou dans l'accueil critique du roman. Je trouve également dramatique qu'on puisse considérer qu'un personnage aussi totalement détestable soit en "nuances de gris".
Disons les choses comme elles sont : Benvenuto viole une adolescente. Il la sodomise de force tout en l'étouffant pour qu'elle ne puisse pas se défendre, dans une scène extrêmement graphique. Le mot "viol" n'est jamais employé, et même si je comprends que le narrateur ne l'utilise pas (puisqu'il ne s'en sent pas coupable), il me semble extrêmement problématique qu'il n'apparaisse dans la bouche de personne d'autre, et notamment de la victime. Et ce qui m'a profondément dérangée, c'est que l'acte n'est jamais critiqué, condamné ou puni : il est, au contraire, récompensé !
Cette représentation du viol et l'absence de critique de l'acte entre dans une problématique plus large : celle de la représentation incroyablement limitée des femmes dans le roman. Tous les personnages féminins, sans exception, sont insultés, l'adolescente violée est même traitée de "salope" (culture du viol, bonjour). Encore une fois, je sais que l'on suit la pensée de Benvenuto, qui est un personnage misogyne, mais ce discours n'est jamais déconstruit, et aucun personnage féminin ne vient offrir de contraste. En outre, à la fin du roman, les personnages féminins ont tous un sort extrêmement peu enviable : toutes les femmes importantes du roman sont humiliées et soumises à la puissance masculine. J'entends déjà les commentaires que l'on pourrait faire à cette remarque : "Oui, mais c'est une représentation d'une période historique où les femmes étaient soumises aux hommes". Non. Il s'agit d'un roman fantastique, basé sur le style architectural, vestimentaire, langagier et, certes, social de l'Europe à la fin du Moyen-âge/début de la Renaissance. Mais il s'agit d'un roman fantastique. L'auteur a le choix. S'il veut renverser les codes et créer une société matriarcale, il peut le faire. S'il veut effacer les codes et créer un monde où hommes et femmes sont égaux, il le peut aussi. Ce n'est pas ce qu'il a choisi de faire. Il a choisi de créer un monde où les femmes sont, comme toujours, représentées comme des inférieures, des objets sexuels et/ou victimes, et où les rares femmes qui ont un réel pouvoir sont dangereuses, et doivent être détruites. C'est un choix conscient.
Je passerai rapidement sur la représentation des homosexuels et des personnes non-blanches dans le roman, n'étant ni l'une, ni l'autre, je ne pense pas être la mieux placée pour critiquer cet aspect du récit, mais leur représentation m'a tout autant dégoûtée.
Pour conclure, je ne connais pas Jaworski et je n'ai lu de lui que Janua Vera et Gagner la guerre. Je ne critique pas l'homme mais son style, qui m'a fortement déplu, et son roman, dont le récit véhicule, à mes yeux, des idées puantes et, hélas, encore beaucoup trop répandues aujourd'hui.