En commençant par la forme...
La Horde du Contrevent, dans son édition poche chez Gallimard, collection Folio SF, est un livre de bonne facture. Comme souvent pour cette collection, le travail de l'éditeur est excellent. Pratiquement pas de coquilles, et surtout l'adjonction d'un marque-page qui liste les personnages, leurs fonctions et rappelle les symboles qui leur sont associés. Il est parfois d'une certaine aide.
La couverture, signée Boris Joly-Erard, n'a rien d'exceptionnel, mais ce n'est pas bien grave.
Le roman est structuré de façon originale. On saute d'un personnage à un autre, si bien que les points de vue sont alternés. Un petit symbole propre à chaque membre de la Horde commence chaque paragraphe (d'où l'utilité du marque-page, au début surtout ; plus tard quand on a un trou de mémoire), permettant de reconnaître le narrateur du moment.
La numérotation des pages est inversée. Cela tient plus du « gadget ». Ça n'a pas grand intérêt.
L'histoire contée dans La Horde du Contrevent l'est par l'emploi d'une langue française parfaitement maîtrisée. Un peu trop maîtrisée, peut-être même, car on ressent parfois le plaisir de l'auteur à employer un vocabulaire riche et des tournures de phrases complexes. C'est certes impressionnant, mais ne sert pas le récit (ni ne le dessert d'ailleurs, c'est juste superflu). Il en ressort un texte assez peu aisé à lire, bourré de néologismes et de jeux de mots parfois faciles.
Mais le talent d'Alain Damasio est indéniable.
...puis continuant par le fond...
L'auteur nous conte l'aventure de la 34e Horde, dirigée par le 9e Golgoth. On découvre, au fil du récit, l'univers venteux qui est le théâtre du roman. On n'a pas d'explications en bloc. L'auteur les donne par petites touches. Au final, malheureusement, on ne sait pas grand-chose. Car si La Horde du Contrevent est un livre-univers, c'est un « livre-petit-univers ».
Prenez un monde parcourut par des vents d'Est en Ouest, avec des villes et villages éparpillées sur le chemin qu'empruntent les Hordes. Qu'y a-t-il autour ? On n'en sait rien. Comment sont organisées les villes ? On n'en sait rien. Sauf pour ce qui est d'Alticcio, et encore, Damasio ne rentre pas dans les détails.
On a beaucoup plus de détails sur les chrones (des créatures constituées de vent), la physique du vif (une sorte de substance vitale qu'on peut grossièrement rapprocher de l'âme), tout ce qui touche, disons, au vent. Damasio invente toute une mystique autour de ce dernier, qui existerait sous neuf formes. Mais toutes les théories permettant d'appréhender ces phénomènes n'ont aucun rattachement – sauf erreur de ma part – avec ce qui existe dans notre monde. Du coup, quel intérêt ? Non seulement ça n'apprend rien, mais en plus ça ne tient pas debout. On n'y croît pas et – j'oserais presque dire – on s'en fout. Il y a des passages sans intérêt, où Damasio nous explique ce qu'est telle ou telle forme de chrone, notamment, qui n'ont aucune incidence sur l'histoire, qui n'enrichissent qu'à peine l'univers. Une perte de temps qui rallonge un récit déjà long.
Franchement, l'univers de La Horde du Contrevent n'est pas transcendant, surtout qu'une planète parcourue par des vents, ça s'est déjà vu. Non, il n'y a vraiment que la Horde elle-même qui mérite le détour...
La 34e Horde, comme toutes les autres Hordes qui l'ont précédée, est composée d'hommes et de femmes ayant chacun une fonction dans le pack : le chef est le Traceur, il y a un Prince, des chasseurs, des sherpas pudiquement appelés crocs... Chacun a appris son métier au cours d'une formation suivie pendant son enfance. Toute la vie des hordiers n'a toujours été consacrée qu'au contre car ils étaient destinés à faire partie d'une Horde. Chacun a donc son rôle, sa personnalité, parfois construite dans la souffrance.
Les personnages sont attachants, bien que pas si atypiques qu'il y paraît à première vue. Ils frôlent presque l'archétype (Golgoth la brute maltraitée dans son enfance, Caracole le troubadour ultra-extraverti, Erg le protecteur ténébreux et secret...) mais tout cela est quand même très bon.
On prend du plaisir à voir évoluer les personnages, leurs relations. Les changements de points de vue permettent d'avoir l'avis de chacun sur les autres. Il est assez rare dans un roman d'avoir aussi bien illustré la différence entre ce qu'est vraiment un personnage et la façon dont il apparaît aux autres.
La vraie qualité de La Horde du Contrevent réside dans ses personnages.
Un dernier mot concernant la fin de l'ouvrage. Loin de moi l'idée de la raconter. Je dirais seulement que, comme je le pressentais de plus en plus à mesure que le roman avançait, l'histoire part complètement en vrille dans la dernière centaine de pages. Je n'ai pas peur de dire que c'est n'importe quoi. Autant le reste du récit est suffisamment intéressant pour ne pas abandonner la lecture, malgré ses défauts, autant la fin m'a failli faire tomber le livre des mains, même si j'étais presque au bout.
Mais est-ce si étonnant ? Après tout, l'histoire d'un groupe d'hommes parcourant le monde, face au vent, pour en trouver l'origine n'a rien d'extraordinaire. C'est déjà un exploit de réussir à écrire un roman dessus. Mais au moins faudrait-il que la fin soit intéressante. Elle ne l'est pas. Elle est d'abord trop « bizarre » puis finalement tellement évidente qu'elle ne récompense pas le lecteur de s'être enfilé 700 pages, parfois avec difficulté.
...et enfin concluant.
Finalement, La Horde du Contrevent est un roman que je qualifierais de moyen. Trop long, trop complexe par certains côtés, un univers et une histoire peu intéressants. Mais écrit par un écrivain de talent, bourré de petites choses intéressantes malheureusement éparses.