Cette lecture constitue une expérience assez remarquable : après une première partie obscure (situation, personnages, discours confus) centrée sur des intrigues politiques qui ne passionnent guère puisque les enjeux, les tenants et les aboutissants sont plus nébuleux que le ciel de Géthen (nom de la planète au cœur du roman, aussi appelée Nivôse parce qu'il y fait vraiment très froid), le récit bascule subitement dans une seconde moitié toute différente, quasiment consacrée à un tête-à-tête fascinant entre un descendant de notre race humaine (Genly Aï) et un autochtone bisexué (Estraven), dans le cadre extraordinaire d'un périple interminable sur un glacier tout aussi démesuré.
C'est pendant cette expédition prétexte à la découverte de l'autre que les informations fournies, au compte-gouttes cependant, permettent de saisir pleinement le début du roman (j'ai fait quelques allers-retours, voyagé de page en page), d'ailleurs construit de façon curieuse : parmi les chapitres écrits du point de vue de Genly ou d'Estraven se glissent des contes, mythes ou notes concernant Géthen et rapportés par une tierce personne. La structure peut désemparer mais est toujours cohérente ; il en va de même pour le temps de narration, conséquemment instable (passé et présent séparés par un simple alinéa).
Évidemment, la découverte de ce monde très différent du nôtre est l'occasion pour l'auteur de poser de grandes questions, notamment au sujet du patriotisme et de la sexualité. Son sentiment sur ces deux sujets point çà et là mais n'importune jamais le lecteur. À signaler la présence très appréciable du calendrier géthénien en fin de roman et des notes de bas de page, qui permettent — à peu près — de situer les événements dans le temps et de saisir toutes les nuances météorologiques de cette drôle de planète. Une seconde lecture est certainement nécessaire afin de débusquer et de savourer toutes les qualités du livre.