Le mage du Kremlin est sorti avec un sens du timing assez remarquable, à l’heure où l’on a plus que jamais envie et besoin de comprendre qui est Poutine, comment il a construit son pouvoir et plus largement quel rapport la société russe entretient à l’ordre et à l’autorité et comment la psyché collective se construit encore autour de grands traumatismes, des purges staliniennes aux attentats tchétchènes en passant par la chute de l’URSS.
Reconnaissons d’emblée que Giuliano da Empoli maîtrise son sujet, l’accès au pouvoir de Poutine, sur le bout des doigts, et ne peut aucunement être taxé d’opportunisme. Il aurait sans doute pu signer un essai remarquable sur la question ; malheureusement, il a choisi de l’emballer dans une forme littéraire particulièrement maladroite. Le récit voudrait se présenter comme une sorte de partie d’échecs dans laquelle Poutine élimine un à un les obstacles entre lui et le pouvoir, mais l’absence totale de rythme du roman et le manque de consistance des personnages (même Poutine a l’air de s’ennuyer face à ces petits pantins de fonds de coulisses) le fait plutôt ressembler à une longue partie de nain jaune à l’heure du goûter chez votre mamie.
Il est surtout blindé de poncifs sur l’exercice du pouvoir dignes d’un étudiant d’hypokhâgne qui vient de lire Machiavel et Sun Tzu et veut à tout prix recaser des idées mal digérées dans sa copie de philo (« le peuple est le plus grand des tyrans », dit un des personnages avec un aplomb qu’on rêverait d’avoir pour sortir de telles platitudes), et encombré par des intrigues secondaires pataudes voire gênantes, comme celle qui concerne le seul personnage féminin du livre, Ksenia, inévitablement aussi belle que volage, effroyable cliché ambulant comme on ne devrait plus en voir que chez de vieux écrivains de plus de 70 ans (et encore).