Contrairement aux Indifférents, premier roman de Moravia taillé d’un seul bloc, Le Mépris (1954, trad. Claude Poncet) cultive un peu plus l’ambiguité : cette histoire d’un mari qui cherche à comprendre pourquoi sa femme s’est mise soudain à le mépriser me laissait plutôt craindre un drame conjugal un brin défraîchi, mais il prend dès la première moitié des airs de spirale paranoïaque auxquels je ne suis pas insensible, quand bien même une certaine distance un peu affectée m’empêche de m’y engager totalement.
Pourtant, à mesure que l’intrigue progresse et que l’intertexte homérique - le narrateur, scénariste, doit réécrire l'Odyssée pour un film dont le producteur et le réalisateur ont des visions diamétralement opposées, l’un rêvant d’une production à la Cecil B. DeMille et l’autre à un drame psychologique - se fait plus imposant, Le Mépris trouve un rythme et un fond nouveau : c’est à la fois la fatalité divine et les périls homériques qui pèsent sur Riccardo. Une menace qui culmine dans un final brillant et inattendu, voyage ambigu au pays des morts qui réinterprète le mythe grec de manière troublante sous la double égide d’Homère et de Dante.