Énorme déception que ce Problème à trois corps ! Si j'ai globalement apprécié la lecture, arrivé à la fin tout s'est écroulé en quelques pages.
C'est un roman froid dans lequel il est difficile d'être empathique avec les personnages. Le protagoniste est une page blanche dont on ne sait quasiment rien, et qui est spectateur des événements plus que moteur du récit. Les dialogues sont pour beaucoup explicatifs plus que porteur d'émotion ou de réalisme. Souvent l'exposition est faite à la truelle. Mais ces points noirs ne me dérangaient pas, le mystère au coeur de l'intrigue ayant éveillé ma curiosité. Malheureusement pour moi la promesse n'est pas tenue : la résolution est risible.
De nombreux moments m'ont plu dans ce livre. L'introduction au cours de la révolution culturelle chinoise, les passages sur la dictature de Mao, certaines visions hallucinantes lors de sessions en réalité virtuelle, l'utilisation horrible d'une certaine technologie sur un navire,... Liu Cixin n'est pas sans talent ! Ce qui rend d'autant plus frustrant certains choix de narration, et en particulier cette fin ratée.
Pour expliquer sans spoiler :
Le récit suit l'enquête de Wang Miao, chercheur en nanomatériaux, recruté par l'armée pour infiltrer une organisation scientifique en lien avec une vague de suicides en Chine. Il va rapidement découvrir qu'une mystérieuse menace plane sur l'humanité. Au cours de son enquête il va être amené à écouter le témoignage de divers personnages, et plutôt que de nous les décrire, l'auteur a fait le choix de nous faire vivre ces événements au travers de flashback. Ainsi, on a droit aux pensées de ces personnages, à la description de la météo, à chaque dialogues dans leurs détails, en bref à tout un tas d'éléments qui ne peuvent être présents dans les témoignages qu'écoute Miao ! Le lecteur en sait plus que lui, sans jamais vraiment savoir ce que ses interlocuteurs lui ont véritablement dit. Cette méthode est probablement censée dynamiser la narration mais j'ai pour ma part vécu ça comme une presque-incohérence. C'est une façon de procéder qui évoque le cinéma plus que la littérature, mais passons. Passons, mais en fait non : la fin de l'histoire utilise aussi ce procédé, mais cette fois dans une situation telle que c'est une faute grave. Je me suis décomposé en lisant la fin, ayant vraiment l'impression d'assister à un sabotage. Tout le mystère finement construit par Ciu Cixin, toute l'originalité de ne pas montrer la menace, s'effondre dans un grotesque cosmique et simplet.
Pour spoiler :
Wang Miao met la main sur la messagerie échangée entre des éco-terrosistes et la fameuse menace : des extraterrestres vivants dans le système solaire voisin. Et plutôt que de nous faire lire cette correspondance, le lecteur est propulsé à suivre un nouveau personnage, un alien, qui a tout d'un être humain. Il pourrait s'appeller Michel l'extraterrestre que ça ne me choquerait pas. Et donc on apprend plein de choses sur les aliens que Miao ne peut apprendre. Leur mode de vie, la politique interne, une partie de leur histoire, leur philosophie,... On assiste même à des expériences scientifiques. Pour garder une certaine cohérence, l'auteur ne nous fait pas l'affront de décrire visuellement cette civilisation, mais ça ne fait qu'empirer la chose : on imagine des humains. Parce qu'ils ont tout d'humain. Ils parlent en français (enfin, en chinois), ils vivent en moyenne 80 ans, ils ont des réflexions d'humains, des ambitions humaines, vraiment ils doivent vivre en Bretagne ou quelque chose comme ça. Seul leur mode de reproduction diffère du notre et se révèle assez original. Tout le reste fait montre d'un manque d'inventivité et de vraisemblance assez exceptionnel. Pourquoi la vie extraterrestre serait-elle forcément à notre image ? Sortant de la lecture d'Aurora (Kim Stanley Robinson) et de L'histoire de ta vie (Ted Chiang), la vision de Liu Cixin fait pitié : dans l'un les aliens sont des prions (des protéines, totalement invisibles à l'oeil nu), dans l'autre des heptapodes à la biologie et au mode de vie radicalement différent du notre. Dans Le problème à trois corps, les aliens sont visiblement des sortes d'humains. Oh et l'invraisemblable ne s'arrête pas là : ils sont évidemment très méchants. Leur conquête de la Terre est motivée par une question de survie, d'accord, mais ils sont pas très sympas quand même. Gouvernement totalitaire et peine de mort. À un moment 6000 aliens sont exécutés pour la faute d'un seul. Les autres ont juste été en contact avec le fautif. C'est quelque part entre Turbo-Hitler et Supra-Mao. Et au final ça se résume à ça : des extraterrestres fascistes qui veulent nous envahir.
Et au passage, ils utilisent une méthode pour ralentir le développement technologique humain que j'ai trouvé particulièrement tiré par les cheveux. Cette méthode est aussi révélée dans ces dernières pages, enfonçant les derniers clous dans le cercueil.
Petite note supplémentaire :
Comme je l'ai évoqué plus tôt, le roman propose plusieurs passages en réalité virtuelle, dans un jeu nommé Les trois corps. Ce jeu est hautement mystérieux et propose de "belles images" et des concepts assez chouettes. Mais narrativement c'est un échec. C'est censé être un jeu, mais le protagoniste est passif : il assiste au déroulé des "parties" sans jamais agir. Parce qu'il n'y a rien à faire, le jeu se joue tout seul, il avance sans les joueurs. Mais la nature même du jeu devrait exiger des joueurs des interactions !
Le jeu ayant été développé pour sélectionner des individus aptes à rejoindre l'organisation terroriste, il aurait fallu que le jeu les mette à l'épreuve. Or le jeu se déroulant sans eux il ne devrait en rien permettre de repérer de potentielles recrues. Ses règles ne sont jamais clairement expliquées, car probablement pas vraiment définies dans l'esprit de l'auteur. À la lecture il apparaît évident qu'il ne connaît rien aux jeux vidéo. Et c'est dommage car ces chapitres sont les plus "SF" du livre.
J'ai vu que Netflix préparait une adaptation de la trilogie en série. Je suppose que ces passages en réalité virtuelle pourraient permettre des images impressionantes (mais Netflix : je doute), en revanche il m'apparaît peu probable de trouver à cette adaptation un quelconque intérêt.