Critique rédigée en juillet 2018
Entre Charles Baudelaire et moi, ça a très mal débuté: il faut dire que commencer à découvrir l'oeuvre du monsieur par Le Spleen de Paris n'a pas facilité la tâche, aussi peu accessible l'oeuvre soit elle: cette poésie en prose au style d'écriture lourd et truffé de sous-entendus m'a particulièrement laissé perplexe, hélas. C'est donc à reculons que j'ai avancé afin de me plonger à son tour dans l'oeuvre ultime baudelairienne: Les Fleurs du mal.
Après tout, ce qui m'a motivé ? Une réputation indéniable de classique de la poésie française, une inévitable initiation à son art en cours de français en 2nde et en 1ère (qui n'y est pas passé, ici?) m'ayant enthousiasmé à la lecture de certains poèmes (Recueillement et La cloche fêlée), et surtout, une soif de me réconcilier avec Baudelaire depuis la déception de ses Petits poèmes en prose.
Publié en 1857, Les Fleurs du mal marque un tournant dans l'histoire littéraire française pour être le premier ouvrage à couper le cordon entre l'art et la morale, soit associer cette dernière à une forme d'art pour faire réfléchir le lecteur de la question religieuse et de la mort, entre autres, de la même manière que Madame Bovary de Flaubert, publié la même année ; ils connaîtront le même procès et seront tous deux censurés.
Tout ce qui a suscité controverse dans Le Spleen de Paris était soit sous-entendu soit absent: l'ensemble était bien trop sage et ne m'a suscité aucune émotion.
Je ne vais pas passer par quatre chemins, dès la lecture de Spleen et idéal (constituant la large moitié du recueil), j'ai directement réussi à cueillir les premières roses de la vie de ce poème patrimonial, jusqu'en tirer tout un bouquet lors de La mort.
Il y est question de sujets fondamentaux, carrément plus graves qu'un Prévert et moins agréable qu'un Queneau: la Mort, la place de l'Homme dans la société, la solitude (Recueillement) le bonheur, le temps qui passe (L'Horloge)...
De même pour ses poèmes en prose. Or, ces derniers, contrairement aux Fleurs, n'extraient pas la moindre couleur de leurs pétales avec cette prose de malheur, cette absence de beauté poétique m'ennui plus qu'autre chose ; bien qu'on puisse y parler de désacralisation du beau poétique, c'est beau, c'est lent, et à titre personnel, c'est casse-pieds à lire !
Les Fleurs du mal possède quant à lui un style d'écriture bien plus beau, classique mais agréable malgré l'obscurité de certains poèmes, dont l'inspiration sort tout droit de la boîte à mystères coincée à l'intérieur de Mr Baudelaire...
La diversité des tons et des registres fait de ce recueil une oeuvre particulièrement riche en trouvailles, tantôt impressionnantes, tantôt étonnantes, et par moment confuse. Las, le poète maudit de la génération maudite post-révolution plonge le lecteur dans une part de lui-même que nul lecteur ne trouvera ailleurs: le fond de sa pensée. Si certains de ses écrits peinent à parvenir au bout du lecteur, dans tous les cas, celui-ci ne reste pas indifférent. Fatalement, certains vers nous resteront en mémoires, après quelques heures...
Avec ce titre provocateur par ses tournures et degrés d'interprétation multiples, Les Fleurs du mal s'inscrit aussi parmi les oeuvres les plus prolifiques de son époque par les nombreuses prises de liberté qu'elle prend vis à vis de la langue et de la bienséance: l'évocation de la mort et de la décomposition physique à travers un salut ironique (toujours Recueillement, les Spleen notamment avec de provocants paradoxes tels que
Je suis le roi d'un pays pluvieux
Sois sage, ô ma douleur
Ainsi que les images omniprésentes de la mort par diverses figures de style que je ne vais pas ici développer davantage), prend toute son ampleur dans la première et la plus longue partie: Spleen et Idéal. Aussi, en tant que longue allégorie de la décomposition humaine, la gradation Révolte et Mort est très intéressante à découvrir aussi. Quant aux Tableaux parisiens, ils divergent légèrement des autres parties par une évocation plus détournée des thèmes chers à Baubau.
Les Fleurs du mal, à contrario de son double maléfique Spleen de Paris, m'a donc beaucoup plu. Peut-être pas assez au point de considérer Baudelaire comme mon dieu littéraire, mais ce monstre sacré a réussi à provoquer chez moi une sensation de vérité sur la vie, tel qu'aucun autre poète ne l'aurait fait.
Souviens-toi que le temps est un joueur avide
Qui gagne sans tricher [...] le jour décroît, la nuit augmente, souviens-toi!
[...] tout te dira Meurs, vieux lâche! Il est trop tard!"