Retour de lecture sur “Patorale américaine”, un roman de l’écrivain américain Philip Roth, publié en 1997. Ce livre a obtenu le prix Pulitzer de la fiction, une des principales reconnaissances littéraires américaines, et apparaît souvent dans les classements des meilleurs romans américains de ces dernières années. C’est le premier volet de sa trilogie américaine et le sixième volume du cycle Nathan Zuckerman, un personnage récurrent de Roth. Pourtant ce personnage devient très vite secondaire dans ce roman, il ne sert que de prétexte pour faire la rencontre et raconter la vie de Seymour Levov dit “Le suédois” un de ses amis de lycée et ancienne vedette sportive qu’il a toujours énormément admiré, presque de manière pathologique. Celui-ci, après le lycée et l’armée, reprend la fabrique de gants de son père à Newark, devient un homme d'affaires juif américain prospère dans les années 1960 et mène une vie apparemment parfaite avec sa femme et sa fille dans cette banlieue tranquille du New Jersey. Cependant, cette vie idyllique en apparence est bouleversée quand leur fille adhère à un groupe militant contre la guerre du Vietnam et devient une terroriste qui fait exploser des bombes et tuant ainsi plusieurs personnes. Roth, à travers cette Pastorale américaine, nous embarque dans une épopée américaine qui cherche à nous expliquer ce que c’est d’être américain et ce qu’est l’Amérique. A travers son personnage, le suédois, programmé pour vivre le rêve américain, il nous raconte l’histoire des deux décennies les plus marquantes et les plus sulfureuses de l’histoire des Etats-Unis, les années 60 et 70. Mais ce que veut nous montrer Roth avant tout c’est l’envers du décors, notamment comment un grain de sable peut faire exploser cette façade de prospérité, ce bonheur artificiel basé sur le travail, l’argent et la réussite matérielle. Une thématique bien connue dans le cinéma et la littérature américaine, mais la manière de l’aborder par Roth est particulièrement originale. Le roman est extrêmement riche et explore également de nombreux autres thèmes comme l'identité, l'innocence perdue, la révolte, la culpabilité, la peur et la rédemption. J’ai adoré la manière très poignante avec laquelle il décrit cette relation père-fille, avec ce père totalement désemparé, dont tous les fondements sont remis en cause, qui s‘accroche malgré tout à ses valeurs et qui ne fait que de s’éloigner encore plus de sa fille. Une réflexion profonde sur la paternité qui ne laisse pas le lecteur indemne. Parallèlement à cela le roman pose également la question de la possibilité de renier son propre enfant quand celui-ci n’est source que de trahisons et de souffrances, la réponse de Roth étant négative. Ce roman est incroyablement riche, l’auteur décortique tout, explique tout, la psychologie des personnages est d’une densité extrême, on peut ainsi passer 3 heures de lecture uniquement sur la scène de la dernière rencontre entre Zuckermann et le suédois, l’auteur détaillant chaque pensée et ressenti de ses personnages. La manière dont Roth détaille les situations est impressionnante, c’est un travail d’une minutie incroyable, il analyse avec beaucoup de subtilité lesmoindres recoins de l’âme humaine. Le couple formé par le suédois et son épouse irlandaise, issue d’un milieu social inférieur, est décrit d’une manière très intéressante, dans toute sa complexité, pour nous pousser à une réflexion sur l’appartenance à une classe sociale et sur l’ascension sociale. Un autre aspect intéressant de ce roman est son côté historique et la manière avec laquelle est décrite la vie américaine au cours de ces deux décennies, qui comme le chantaient les Doors dans “This is the end”, marquent la fin du rêve entre l’assassinat des Kennedy et le l’envoi de soldats au Vietnam. Le descriptif de l’industrie du gant à Newark, notamment à travers l’usine familiale, est particulièrement impressionnant de réalisme et de détails techniques. A croire que Roth y a travaillé toute une vie. La saga familiale sur plusieurs générations n’est pas en reste et s’imbrique parfaitement, également avec un réalisme extrême, dans l’avènement et le déclin de cette industrie. Le livre est écrit dans un style très riche, élégant et précis, avec une construction narrative très intéressante qui alterne le passé et le présent, et malgré quelques longueurs ou redondances, il reste toujours très agréable à lire. Pour conclure, cette pastorale américaine est l’histoire d’une désintégration intérieure, de la fin d’un mythe. C’est un chef d'œuvre de la littérature américaine, à la fois une fresque familiale et une satire sociale, en tout cas une œuvre bouleversante et fascinante qui marque l’esprit pendant un moment.

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“Le fait est que comprendre les autres n’est pas la règle dans la vie, c’est de se tromper sur leur compte, encore et encore, encore et toujours, avec acharnement et, après y avoir bien réfléchi, se tromper à nouveau. C’est même comme ça qu’on sait qu’on est vivant : on se trompe. Peut-être que le mieux serait de renoncer à avoir tort ou raison sur autrui, et continuer rien que pour la balade. Mais si vous y arrivez, vous… alors vous avez de la chance.”

Daniel_Sandner
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le 15 juil. 2024

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