Frères humains, qui après nous vivez, N’ayez les cœurs contre nous
endurcis, Car, si pitié de nous pauvres avez, Dieu en aura plus tôt de
vous mercis.
Plonger dans la poésie de François Villon, c'est accepter de faire face à la complexité d'un moyen français, qui semble si proche et en même temps si lointain. De sacrifier une part de compréhension contre une belle part de musicalité et une autre, encore plus conséquente, d'images évocatrices. De faire face à une surdose de noms de personnes immémorées depuis fort longtemps, même si, pour les raisons exposées ensuite, l'universalité et l'intemporalité de l'oeuvre en sont à peine égratignées.
Clément Marot, le premier à avoir supervisé une édition critique des œuvres complètes du poète, avait émis le regret que ce dernier n'ait pas été poli par une cour. Je ne suis absolument pas d'accord. S'il avait été poli (en partant du principe que cela eût été possible, mais j'ai de très sérieux doutes quand on connaît la personnalité du monsieur, qui cherchait la merde partout et qui parvenait miraculeusement à s'en sortir à chaque fois qu'elle lui tombait sur la gueule... enfin, pour le dernier acte, on n'en sait rien... !), Villon n'aurait pas été Villon. Il se serait fondu dans la masse des poètes léchant les bottes à leur noble mécène, avant que la postérité décide de le jeter impitoyablement dans les limbes de l'oubli.
Il n'aurait pas été Villon parce qu'il n'aurait pas parlé de thèmes peu communs pour la poésie de l'époque : de faim, de froid, de pauvreté, de mort, de moines paresseux et gloutons, de tavernes mal famées, de cons, de vol, de techniques d'évitement du "mariage" (terme jargonneux pour dire se faire mettre la corde autour du cou, au sens le plus propre qui soit !). Il n'aurait pas décrit la femme d'une manière aussi cynique, il n'aurait pas transpercé avec autant de vigueur l'imagerie courtoise. Il n'aurait pas donné des images aussi saisissantes et crues que des corps pendus en putréfaction, des crânes humains servant de combustible, des vieilles femmes faisant le deuil cruel de leurs jeunes années. Il n'aurait pas été aussi ironique, aussi moqueur, aussi goguenard, aussi vulgaire, aussi impénitent. On n'aurait pas senti, non plus, autant de désespoir tapi en lui lorsqu'il flatte les altesses pour espérer remplir sa bourse bien vide (incapable de la moindre stabilité, même sous leur protection !). On n'aurait pas deviné une vie tumultueuse, excitante et triste à la fois. On serait juste passé à côté d'une figure exceptionnelle et marquante.
Bref, on peut donc arriver à la conclusion que si on définit le terme de "poésie" dans son sens le plus plat, à savoir des vers et des rimes dans des type d'œuvres assez courtes et avec des règles très précises, genre ballades ou rondeaux entre autres, on peut penser que François Villon est le premier grand poète français de l'Histoire. Ben, ouais... Bon, allez quelques vers du premier grand poète français pour bien digérer le tout...
Vous nous voyez ci attachés, cinq, six : Quant à la chair, que trop
avons nourrie, Elle est piéça dévorée et pourrie, Et nous, les os,
devenons cendre et poudre. De notre mal personne ne s’en rie ; Mais
priez Dieu que tous nous veuille absoudre !