Premier roman de Georges Bernanos, mais troisième découverte pour moi de cet auteur, après son Journal et son pamphlet Les enfants humiliés, et il est vrai que si une espèce d'espérance pouvait se dégager finalement des écrits du Curé de Campagne, ici nous sommes bien cramés par un soleil noir, tant Bernanos se montre ténébreux, autant sur le fond que sur la forme (corrélation inévitable, l'apanage des grands ?).
Car c'est indubitablement, comme tout ce qui sort de Georges Bernanos, j'en ai bien l'impression, grand ! Mais c'est aussi sombre, ténébreux, fumeux... Rédigé après la première guerre mondiale, on sent que l'homme et l'écrivain a vécu et a pu expérimenter frontalement ce dont l'humanité est capable, pour le pire évidemment. Et il le retranscrit, dans sa tradition, en faisant se confronter les représentants, soit-disant par excellence, de la lumière sur terre, à savoir des hommes d'Eglise, à la question du bien et du mal, de Dieu et de Satan, et d'à quel point le diable parvient à ses fins, autant que l'homme doute, titube, que chaque vacillement de l'âme est une ouverture propice à accueillir goulument le mal en nous.
Ainsi, le roman se montre extrêmement ténébreux, surtout dans sa dernière partie. Si de nombreuses et nombreuses pages se lisent à voix haute, dans un lyrisme impeccable de justesse et aussi riche que simple, et touchent indubitablement à ce que la littérature peut offrir de plus grand, d'autres passages sont laborieux, difficiles à comprendre tant la narration, celui qui parle, celui qui reçoit, tout est flou et ténébreux. Mais cela est assurément fait exprès, et ainsi, ressentir ce tiraillement manichéen et s'imaginer comme tout homme dans la peau de cet homme, de ce "Saint de Lumbres", dans une lutte fiévreuse constante et perpétuelle jusqu'au bout, n'est vraiment pas difficile tant Bernanos est excellent dans cet exercice. (bien qu'il puisse malheureusement perdre certains lecteurs, peut-être par manque de consistance de certains passages dans la dernière partie, chose que je n'ai pas ressenti à la lecture de son chef d'oeuvre écrit 10 ans plus tard).
Pour l'apprécier à sa juste valeur, c'est comme pour la foi, l'amour, la vie, il faut accepter de ne pas tout comprendre, de se perdre et de s'abandonner à cette lecture, sans certitude d'en tirer quelque chose de clair... Il faut accepter de plonger dans ces ténèbres qui ne sont pourtant pas totalement dénué de lumière.