...entre Balzac et Dostoïevski ; ce dernier n'est pas allé au bagne, contrairement à ce que l'on raconte, non, une hypothèse plus réaliste est que le sol de l'espace-temps s'est ouvert sous ses pieds et l'a transporté directement dans le Paris de Honoré de Balzac ; ce qu'il y a vu a été le déclencheur de la crise (comment eût-il pu en être autrement ?) : la petite Lydie sacrifiée, de même qu'Esther, puis finalement Lucien... le personnage même de Vautrin... les intrigues parisiennes, le climat pestilentiel et sans pitié... Oui, Balzac a, beaucoup plus définitivement que Nietzsche, assassiné Dieu. C'est-à-dire qu'il ne bataille plus avec Lui, simplement, il décrit, avec indifférence (ou peut-être en l'affectant), ce que c'est qu'une société qui n'En a plus le soucis. Raskolnikov, Mychkine : deux manières (parmi d'autres) de soutenir, de traverser, voire de succomber, à la crise (pour Aliocha Karamazov les choses sont plus complexes ; peut-être, lui, est-il vraiment allé au bagne).
Autant que les innocents sacrifiés ignoblement (la petite Lydie fait partie de ces figures qui, quasi inexistantes - elle n'est évoquée que durant quelques lignes - persistent néanmoins à vous hanter - où est-elle ? hurle-t-elle ? que fait-elle ?), il y a bien sûr Vautrin - qui attestent de la mort de Dieu. Un portrait est-il même envisageable ? Cet homme AIME - et c'est peut-être ce qui a tant choqué Mychkine - non pas tant la nature de cet amour que son existence même ; ou plutôt ce que cette existence dit de cette nature. Balzac ouvre là la porte sur un monde inconnu, un monde brûlant et noir, dont les exhalaisons pourraient bien s'avérer être le sol même sur lequel tout Paris tangue... Raskolnikov a tant de peine à marcher droit.