Tsubaki est le premier volet d’une série de cinq romans qui s’intitule « Le Poids des secrets ». Pour débuter dans cet univers où les mensonges se dévoilent et pèsent sur les consciences, nous découvrons une famille japonaise dont la grand-mère arrive au bout de son existence. Le sentiment de la fin du chemin fait parler cette femme qui a subi la bombe atomique, les horreurs de la seconde guerre mondiale et avait choisi de ne rien dire. A travers les questions de son petit-fils et surtout d’une lettre qu’elle laisse derrière elle pour sa fille, le lecteur va découvrir le poids insupportable d’un secret cruel que Yukiko (la grand-mère) n’a jamais partagé avec quiconque.
C’est un roman court et captivant, on s’enfonce peu à peu dans la lecture pour découvrir ce que cache cette vieille femme qui vécu la guerre mais qui semble souffrir d’un mal, d’une culpabilité plus profonde et plus personnelle. La révélation est rendue touchante par l’utilisation de la lettre. La voix de la défunte résonne directement et porte en elle quelque chose d’inéluctable. On revit le quotidien d’une jeune adolescence japonaise habitant près de Nagasaki à la période que chacun se rappelle de manière sinistre. Yukiko ne va plus à l’école mais travaille dans une usine réquisitionnée par l’armée où elle produit un travail ennuyeux et répétitif. Nous découvrons ses peurs, ses doutes mais aussi à travers cette crise, ses émois de jeune fille. Elle nourrit en effet une affection de plus en plus grande pour son voisin, le fils d’un collègue de son père. Un garçon, bien étrangement nommé : Yukio, un nom si proche du sien. Le titre de la pentalogie vient alors imprimer sa marque. On découvre que Yukiko doit elle aussi faire face aux mensonges et aux choses dissimulées. Son père cache en effet un certain nombre de chose à sa famille. Je n’en dirai pas plus pour ne pas vous gâcher la lecture, mais ces non-dits, ces impostures sont celles qui vont pousser Yukiko à commettre le pire ; quelque chose dont elle portera le poids toute sa vie.
L’œuvre est à la fois intéressante pour le plaisir de la fiction en lui-même (découvrir les secrets d’un personnage) mais aussi par le biais des réflexions qu’il propose. D’abord sur le fait de divulguer ou non l’indicible et d’en assumer les conséquences. Aki Shimazaki nous montre que les secrets peuvent détruire une vie, autant ceux que l’on nous cache que ceux que l’on dissimule soi-même. La vie d’une femme se retrouve gâchée, mise entre parenthèse par la faute, la tromperie d’un homme qui n’a pas eu le courage de dire la vérité. D’autre part, le roman, au début notamment, réfléchit sur les raisons, les « justifications » de la bombe atomique. Les questions naïves du petit fils nous offrent des réponses glaçantes qui ajoutent cette fois au poids universel de l’Histoire sur chacun d’entre nous. Une leçon douloureuse à avaler.
Grand-mère, pourquoi les Américains ont-ils envoyé deux bombes
atomiques sur le Japon ?
- Parce qu'ils n'en avaient que deux à ce moment-là, dit-elle franchement.
Comme je l’ai déjà mentionné le roman est très court et, tout comme le personnage de Namiko qui dévore la lettre laissée par sa mère, nous engloutissons cette histoire. Le style épuré et en même temps très poétique de l’auteur permet de faire ressortir la force et la profondeur du personnage. Les actions de chacun sont crédibles et on se met facilement à la place de Yukiko lorsqu’elle nous raconte ce qu’elle voit, ce qui la choque, ce qui lui pèse. La poésie inhérente du texte ressort aussi dès le titre : Tsubaki, qui est la traduction du mot « camellia » en Japonais. Dans le roman ce sont les fleurs préférées du personnage principal, une fleur qui au Japon représente le sacré, ce que l’on ne doit pas altérer…
Critique à retrouver sur : Le mouton curieux