Une Vie, c'est l'histoire d'une vie. Ce commentaire n'est pas très original, mais il est le meilleur qui soit pour ce roman. Cette vie, c'est celle de Jeanne, une jeune fille belle et joyeuse qui sort du couvent, qui rêve de liberté et de prince charmant. Jeanne s'installe près de la mer en Normandie, dans le château familial des Le Perthuis des Vauds, sa famille de petite noblesse. La mère est grosse et atteinte d'hypertrophie cardiaque, le père est un baron aux idées modernes pour sa classe sociale : fidèle à Rousseau et anticlérical. Ils ont une domestique depuis toujours : Rosalie, d'origine paysanne, au patois incompréhensible mais attachant.
C'est dans ce cadre que, sortie du couvent, Jeanne rêve de sa vie. D'une "vraie" vie : celle de la liberté, du prince charmant, vous voyez. Le prince charmant justement, ne se fait pas prier pour arriver très vite. Voici Julien de Lamare, beau-parleur, charmeur. C'est parti pour le mariage, la lune de miel en Corse. Ca va vite, trop vite. On découvre que le beau-parleur n'est pas celui qu'on croyait : il se révèle agressif, radin, indifférent aux autres, à ses beaux-parents et à sa femme, violent. L'idylle d'amour rêvé prend donc inévitablement du plomb dans l'aile. Coup de massue quand Jeanne découvre l'adultère de son mari. Alors elle commence à déprimer, se sent bien seule et isolée, ses rêves perdus et envolés. Sa condition, ses remords, ses états d'âme en sont presque pathétiques. Mais voilà Paul qui vient au monde, le fils de Jeanne et de Julien. C'était pas gagné, tellement Jeanne était dégoûtée des relations sexuelles. Alors toute séparation est inenvisageable. Paul est la seule vitamine de Jeanne dans son quotidien triste et morose, où il ne se passe rien. Elle ne va même pas à l'église, parce que le nouveau prêtre est un obscurantiste de première (vous savez, du genre à justifier le viol ?). Bref, Paul est sa seule distraction. Mais Paul grandit voyez-vous. Et Paul va faire des études à Paris, loin de sa mère, qui, redevenue seule, déprime à nouveau du coup. Mais il sèche les cours, il fait des bêtises. Il accumule des dettes, s'exile avec une fille que personne ne connaît et ne connaîtra. Et Jeanne rembourse, se ruine en envoyant de l'argent à son fils qu'elle n'a pas vu depuis longtemps. Ah ! Entre-temps, il faut dire que Julien est mort, tué par un voisin noble parce qu'il couchait avec sa femme. Mais ça Jeanne s'en fout royal, cela faisait longtemps qu'elle ne l'aimait plus. Elle avait bien essayé de jouer la comédie pour avoir un deuxième enfant, mais l'enfant est mort-né. Quelle vie !
Du coup, elle vit seule. Seule parce que sa grosse maman est morte, et que son père n'a pas tardé à la suivre. Seule ? Et Rosalie ??!!! Rosalie est partie. Ou plutôt elle a été congédiée il y a longtemps, parce que Jeanne l'avait surprise dans le lit avec Julien. Oui, Julien a couché avec tout le monde quoi, sauf vraiment avec sa femme.
Mais c'était pas vraiment sa faute à Rosalie, Julien était brutal. Alors des années plus tard, à l'enterrement de Julien tiens, Rosalie revient donner un coup de main a sa maîtresse d'alors, qui a bien vieillie et qui lui pardonne parce que le temps a fait effet, qu'elle est désabusée, et ne se fait plus aucune illusion. Elle n'a plus de rêve, elle n'a plus d'argent avec les dettes de son fils. Alors sous la "tutelle morale" de Rosalie, elle vend le château familial, et s'installe à la ferme, chez Rosalie qui vit avec son fils. Lequel fils de Rosalie est d'ailleurs celui de Julien aussi (vous savez la fois où Jeanne les a surpris au lit ?). Jeanne voudrait désespérément revoir son fils Paul, mais lui il s'en fiche un petit peu, du moment que sa mère envoie de l'argent. Au passage Paul a eu une fille, mais il a pas trop envie de s'en occuper. Alors c'est Jeanne qui la prend avec elle. La voilà grand mère, devenue pauvre, mais qui retrouve un peu de sens à sa vie, un peu de joie à l'idée d'avoir à nouveau un être cher à ses côtés, de qui s'occuper, avec qui se distraire : sa petite fille.
"La vie, ce n'est jamais si bon, ni si mauvais qu'on croit" concluera-t-elle, se faisant le porte-parole de l'auteur.
Voilà, c'est vraiment l'histoire d'une vie. On ne voit pas passer le temps, Jeanne non plus. Le récit est parfois lent, parfois même trop lent surtout au début du roman. Mais quand l'amourette un peu puérile prend du plomb dans l'ail, que la tristesse, l'ennui et la mélancolie s'emparent de Jeanne, le récit brusquement s'accélère, et nous emporte jusqu'au bout de cette vie, qui n'aura pas franchement été une réussite, mais qui n'aura pas été pour autant un naufrage total non plus.
Le tout conté par l'écriture excellemment fluide et magnifique de Maupassant.