Roman bien trop méconnu de Marcel Aymé, Uranus est une oeuvre provocatrice et audacieuse encore plus lorsque l'on voit sa date de parution : 1948, soit juste après la guerre et la libération qui en est la période traitée.
Dans une petite ville de province, Blémont, Aymé dépeint avec justesse et férocité cette période de l'histoire. Des personnages et des situations nuancées, aucune place pour le manichéisme, ici il y a des "méchants" des deux côtés, mais surtout beaucoup de gens qui ont fait ce qu'ils avaient à faire pour vivre / survivre, que ce soit par conviction, fatalisme ou lâcheté. Prônant un Pétainisme forcené pendant la guerre et essayant maintenant de passer la brosse à reluire aux communistes qui, pour faire avancer le parti, sont prêts à user de toutes les combines, même les plus viles.
Il n'y a plus de place pour les personnages entiers, forts en gueule et trop francs comme Léopold, l'ancien lutteur devenu cafetier, féru d'Andromaque et de vin blanc. Sacré personnage qui paiera le prix à ne vouloir entrer dans aucun moule.
De la place il en reste pour ceux qui comme Monglat retournent leur veste plus vite qu'Arturo Brachetti au mieux de sa forme. Lui qui est passé de modeste patron d'une distillerie à millionnaire en acceptant de fournir à l'envahisseur tout ce dont il avait besoin, moyennant finance bien sur, passe maintenant le plus clair de son temps à chercher un moyen de justifier tout cet argent qui dort dans son coffre, ne pouvant le dépenser à son aise sans trahir ses anciens agissements. De ce fait, aigri et solitaire, il ne trouve du plaisir que dans la délation d'anciens collabos beaucoup moins zélés qu'il ne le fut et de supposés opposants au parti communiste.
Mais la plupart des personnages naviguent entre ces deux eaux, ils n'ont pas choisi de camp par conviction, seulement cherché à passer entre les mailles du filet, que ce soit lors de la guerre ou maintenant que les dénonciations, des plus sérieuses aux plus folles ou intéressées, pleuvent. Du coup tout le monde marmonne, mais plus personne ne conteste quoi que ce soit et on ment, aux autres comme à soi-même.
Avec son style simple et direct, Aymé comme semblant étouffé de toute cette hypocrisie ambiante jette un pavé dans la mare et force une France qui n'y était sûrement pas préparée à se regarder en face, avec toutes ses contradictions et ses lâchetés. Ce dernier n'a jamais cherché à brosser personne dans le sens du poil ce qui lui vaut peut-être d'être encore aujourd'hui bien trop laissé de côté alors qu'il est pour moi l'un des auteurs français les plus intéressants du vingtième siècle.
Ah, et vous vous demandez peut-être, pourquoi "Uranus" ?
Lisez donc Marcel pour le savoir ! Non mais.