On a souvent tendance à oublier que la fiction morte-vivante est un genre très particulier de science-fiction. Et plus précisément qu’il s’agit d’un sous-genre du post-apo. La plus grande majorité des romans ou des films de zombies se concentrent sur l’aspect survivaliste du genre, et se contentent la plupart du temps de survoler voire d’ellipser l’apocalypse en lui-même. C’est souvent ce qui rend ces fictions assez banales et sans grande originalité, toute autre considération mise à part.
Là où Max Brooks se démarque de ses confrères, c’est que le côté post-apo de son ouvrage se construit dans l’ossature même de World War Z. Rédigé sous forme de témoignages recueillis partout dans un environnement mondial traumatique à l’extrême, auprès de toutes les formes imaginables d’acteurs du cataclysme, l’action du roman n’a pas besoin de se construire par le biais d’un narrateur puisque située dans une temporalité passée. L’environnement est balisé par les « didascalies » (à défaut d’une meilleure expression) encadrant les interviews du Brooks fictif ; ce monde-cadre se voit ainsi nimbé d’une certaine aura de mystère, sans pour autant nous en priver d’une vision cauchemardesque, marquée par la violence verbale déployée par quelques-uns des intervenants.
La force de Max Brooks réside également dans une habileté assez maladroite mais nonobstant bien présente dans la variation des styles d’un témoignage à l’autre ; soutenus ou orduriers, savants voire érudits ou simples d’esprit, froids ou animés, traumatisés ou courageux… le langage dans son ensemble demeure assez simpliste mais les nuances, pour infimes qu’elles puissent s’avérer, permettent l’immersion de manière efficace.
Mais de quelle immersion parle-t-on, vu le caractère froid, scientifique et méthodique de l’ouvrage, et sa construction anti-romanesque ? On pourrait en fait inventer un vocabulaire précis pour qualifier cet ouvrage, et évoquer une politique apocalyptique immersive. Une question fondamentale à la fiction morte-vivante, souvent indirectement posée par les amateurs du genre, est de savoir comment une épidémie zombie peut ainsi se transformer en pandémie malgré les moyens matériels à disposition des nations du monde. La réponse réside dans la politique. À cet égard Max Brooks donne une nouvelle dimension au mythe du zombie dont celui-ci avait bien besoin. Du conflit israélo-palestinien à la rivalité indo-pakistanaise, de la Chine aux États-Unis, des conflits diplomatiques aux guerres civiles ; il n’en faut pas davantage pour finir d’être convaincus des failles de la diplomatie globale dans la gestion des crises d’ampleur mondiale.
Rarement une fiction a su pointer si rudement du doigt les problèmes de la géopolitique mondiale. Wolrd War Z n’est pas un « roman » effrayant par ses effusions de violence extrême, par l’évocation très ostentatoire de festins cannibales ou par son nihilisme, il épouvante car la pandémie zombie dont il fait l’autopsie n’est finalement qu’un prétexte narratif, l’extrapolation d’une crise protéiforme et sans visage guettant chaque individu comme chaque nation ou organisme. Il effraye car Max Brooks nous apprend avec une froideur alarmante qu’un système ne peut gérer de crise sans recourir à des mesures drastiques et impitoyables, et que sauver l’espèce ne peut se faire sans le sacrifice d’une partie de celle-ci.
Sur les aspérités survivalistes du roman, il n’y a hélas pas grand-chose d'autre à ajouter que ce que le mythe du zombie ne nous ait pas encore appris, mais là encore Brooks parvient à démontrer qu’il maîtrise parfaitement son sujet. Même s’il se concentre la plupart du temps sur des enclaves ou des zones sécurisées, il n’en oublie pas pour autant les loups solitaires, et ce sans jamais tomber dans la caricature grossière (enfin, Kondo Tatsumi la frôle tout de même). Si pour le coup la construction du livre ne permet aucun attachement aux personnages, ce n’est pas un problème, le prétexte romanesque n’étant finalement qu’un arrière-plan. Le principe est tout au contraire de suivre les réactions humaines face au danger, la progression et la gestion du conflit sous ses différentes formes, dont certaines ne nous seraient même pas venues à l’esprit. Max Brooks à cet égard ne souffre d’aucun soucis de crédibilité, chaque nation commettant ses erreurs, se rattrapant, avec sa part de réussites et de responsabilités. Aucun parti-pris ni de véritable considération idéologique, l’auteur sait peser et cela ne lui porte pas préjudice.
Dans le déploiement de l’apocalypse zombie et de la victoire finale de l’humanité, on se délecte également des dispositifs stratégiques minutieusement décrits par soldats et généraux de toutes nationalités, le conflit prend une ampleur insoupçonnée et Brooks explore des zones par trop souvent ombragées dans ce genre de romans (escouades de maîtres-chiens, guerre sous-marine et sous-terraine, obsolescence et adaptation de l’équipement militaire…). World War Z est probablement à ce jour la fiction zombie la plus exhaustive d'entre toutes.