Le grand Marco Bellocchio revient sur l'affaire Moro 20 ans après BUONGIORNO NOTTE avec ce film de 5h30 découpé en 6 épisodes pour la télévision (je préfère dire que c'est un film car je ne regarde jamais de séries), grand trauma de la vie politique italienne dont ni la gauche, ni la démocratie, ni Bellocchio lui-même ne semblent s'être remis.
Le film de 2003 était la relation heure par heure de la détention du leader de la Démocratie Chrétienne dans sa prison en placo, emmuré vivant dans les faux murs d'un appartement romain. ESTERNO NOTTE nous invite comme l'indique le titre à voir l'obscurité du dehors alors que Moro disparait vite du cadre. Paul VI, les ministres Cossiga et Zaccagnini, le Président du Conseil Andreotti, Mabuse éternel de la classe politique italienne qui une fois encore en prend ici pour son grade (Sorrentino lui avait déjà réglé son compte dans IL DIVO), les vieilles buses de la sécurité intérieure, vieilles ganaches héritées des années mussoliniennes, un système policier perdu, des terroristes déconnectés de leurs bases et de leur vie, tout cela est radiographié des pieds à la tête avec une précision froide.
ESTERNO NOTTE s'autorise quelques embardées, presque invisibles, vers la fiction, voire le rêve. Le film débute d'ailleurs sur un Aldo Moro sur un lit d'hôpital, revenu de détention, avec devant lui ses "amis" politiques. L'échange de regards auquel on assiste donne la note au reste du film: "Je sais à quoi m'en tenir sur votre compte".
Le film raconte quelques épisodes véridiques hallucinants comme d'autres sans doute inventés pour combler les vides: cette somme de 20 milliards de lires sortie des caisses noires du Vatican ("les excréments de l'Eglise" comme le dit le Pape devant le tas de billets) dont on ne reverra jamais la couleur, l'explosion de rage de Moro à sa confesseur avant son exécution contre Andreotti qu'il déclare coupable de cette machination. La profonde amitié de Paul VI et de Moro, la dépression de Cossiga à cause de sa vie conjugale catastrophique.
La grande Margherita Buy incarne dans le dernier épisode une Eleonora Moro droite, inflexible et affable qui fait vite comprendre à tous ces hypocrites de débarrasser vite fait son salon et qu'elle fouttra les bouquets de fleurs vite fait à la poubelle. Comme le plan qui ouvre le film dans le premier épisode, son attitude toute entière leur dit aussi ça: "Je sais à quoi m'en tenir sur votre compte".
Grand film !