Ozark
7.3
Ozark

Série Netflix (2017)

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Le problème avec les comparaisons, c'est qu'elles ne se font pas toujours à notre avantage...

Ah j'en ai lu quelques unes des critiques défendant cette « Ozark » de ne pas être une simple ressucée de « Breaking Bad » !
Mais bon, à un moment donné il faut quand même savoir ouvrir les yeux hein !


Une série qui, en 2017, te raconte l’histoire d’un homme ordinaire et médiocre qui se retrouve pris dans les rouages du trafic de drogues - cet homme essayant par ailleurs de cacher ce business à sa famille qui se retrouve impliquée malgré elle - le tout donnant l'opportunité de dresser un portrait cynique et acide du rêve américain : moi on ne me fera pas dire que ça n'a rien à voir avec le monument créé par Vince Galligan !


Alors après pourquoi pas...
...Mais autant le dire tout de suite : quand on essaye de suivre aussi manifestement une série d’un tel calibre, on prend forcément le risque de souffrir de la comparaison.
Or le problème, c’est qu’avec le même postulat de départ que son aîné, « Ozark » ne s'en distingue que pour faire des choix moins percutants...
...Et cela se ressent - hélas ! - dès le premier épisode.


Première mauvaise pioche faite d'entrée : le choix opéré par la série de nous présenter son personnage principal - Martin Byrde - a un moment où il a déjà cédé à la tentation.
OK ça permet de gagner du temps mais d'un autre côté ça rend le héros plus difficile à positionner.
Où en est-il dans sa vie ? Pourquoi a-t-il cédé ? Jusqu'où a-t-il cédé ?
Là où dans « Breaking Bad » le spectateur disposait de tous ces éléments dès la fin du pilote, « Ozark » de son côté ne nous les livrera que bien plus tard, ce qui nous invite mécaniquement à considérer les agissements de Martin Byrde avec davantage de superficialité et de distance.
...Dommage.


Autre pari perdant opéré d'entrée jeu : la manière choisie par ce premier épisode de présenter la grande menace qui va peser sur Martin : Del.
Au lieu d'opter pour une installation qui s'étale sur toute la saison et qui mobilise astucieusement un folklore anxiogène (comme avait su le faire « Breaking Bad » avec Tuco), là « Ozark » préfère imposer Del tout de suite à base de gros coups de flingues sur la tempe et de sourines sadiques, ce qui nous conduit inévitablement à mobiliser notre imaginaire de gros clichés beaufs de série B.
... Pas top.


Bref, dit autrement : dès le premier épisode, « Ozark » c'est quand même loin de se poser là.


Malgré tout, là où je peux encore rejoindre les défenseurs de cette série c'est qu'à trop vouloir la comparer à l'un des plus gros bijoux du monde sériel (mais encore une fois à qui la faute ?...) on pourrait passer à côté du fait qu' « Ozark » parvient malgré tout à se faire honnête et plus ou moins efficace pour qui n'en attend pas de chef d'oeuvre.
Et je comprends d'autant mieux cette position que, pendant à peu près les deux premiers tiers de la saison 1, j'ai pu la partager.
Sans être conquis, j’étais au moins curieux d’aller voir à chaque fois l’épisode suivant.
Et même si chaque épisode nouveau rappelait régulièrement à quel point cette série suivait totalement le sillon de « Breaking Bad » (même personnages secondaires qu’on cherche à rendre iconiques malgré leur apparence très ancrée dans l’ordinaire et le commun ; même type de situation qu’on pose comme des pièges inextricables ; même crudité dans la résolution des situations…), les auteurs ont su malgré tout amener suffisamment de personnalité dans les lieux comme dans les protagonistes pour que leur dynamique (globalement maitrisée) de « rise and fall » sache séduire un type comme moi.


Alors certes, ça restait du « Breaking Bad » light...
...Mais au moins c'était du « Breaking Bad » light honnête.


Sauf que…


Sauf que, cet équilibre précaire mais acceptable pour moi, il n'a pas su tenir jusqu'au bout de la première saison.
C'est un peu tout le problème des contrefaçons : ça révèle toujours ses limites sur la longueur.


Petit à petit, la série commence à s'accorder quelques entorses d'écriture arrangeantes. ..


(du genre : pourquoi Jonah met en place un plan assez compliqué pour s’acheter un flingue alors qu’il y en a plein sa cave ? Et puis avec quel argent il le paye ce gosse ?)


Et si ces premières entorses peuvent encore être tolérables au départ, le problème c'est qu'elles finissent par s'accumuler et surtout devenir de plus en plus grossières.


Et sur ce point, là encore, la comparaison avec « Breaking Bad » devient inévitable tant il est difficile de ne pas voir en cette dérive la conséquence d'un modèle copié sans être maitrisé.
Car oui, comme dans « Breaking Bad », « Ozark » aspire à créer des moments de tension autour de son héros ; moments de tensions visant à la fois à révéler l'habileté dudit héros mais aussi à justifier sa plongée progressive dans les limbes de la criminalité.
Dans « Breaking Bad » le procédé était d'autant plus efficace qu'il était brillamment exécuté.
Pour cela il « suffisait » de faire échafauder un plan brillant par Walter White, puis amener un ou plusieurs éléments aléatoires se déclencher en mode « c'est vraiment pas de chance » afin d'acculer dans un premier temps le héros avant que celui-ci ne soit poussé à forcer encore davantage son génie pour s'en sortir, ceci se faisant bien évidemment au prix d'un nouveau sacrifice moral...
Tension + révélation du génie + plongée plus profonde dans le crime : la recette parfaite...
...Du moins quand elle est bien exécutée.


Dans « Ozark » la formule est reprise mais en mode « petits chimistes amateurs ».
Là aussi on va voir Martin Byrde échafauder un plan de blanchissement habile. Les éléments vont également se retourner contre lui. Mais sitôt la situation devient-elle inextricable que le génie de Martin se fait suppléer par un autre élément scénaristique beaucoup moins sexy :


de la grosse chatte.


Car dans « Ozark » quand Martin a un super plan et qu’il est soudainement acculé comme peut l’être Walter White, eh bah là, le hasard et les choix des autres personnages deviennent systématiquement salvateurs.
Et c’est fou comment cette saison multiplie ainsi les facilités !


Martin a soudainement besoin d’énormément d’argent ? Eh bah – bim ! – un personnage qui a pile la somme accepte de lui confier l'argent nécessaire.
Et quand ce personnage se rebiffe et veut récupérer ses billes histoire d’apporter un peu de piquant, eh bah c’est un banal accident de la circulation qui règle l’affaire !
Eh oui ! Comme c’est arrangeant !
Et c’est comme ça pour tellement de choses !


Le pasteur va voir les Snell pour faire savoir qu’il a compris leur combine et qu’il refuse d’y participer ?
OK c'est couillu mais c'est surtout terriblement stupide car il est évident qu'à partir de ce moment les Snell vont devoir l'exécuter dans l’instant...
Sauf que non ! Dans « Ozark », les Snell décident de prendre le risque de laisser le pasteur se balader dans la nature ! Un gars qui n'a aucune raison de garder ce secret pour lui tant il est manifeste qu’il est mû par la moralité !
C’est vraiment insensé de faire ça ! Pourquoi ne pas le tuer ?!
...Ah bah oui : c’est parce que les auteurs avaient prévu de lui faire brûler sa propre église parce que ça arrangeait le scénario !
Et pourquoi d'ailleurs ledit pasteur ne dénonce-t-il finalement jamais les Snell et les Byrde ?
Bah parce qu'encore une fois ça arrange le scénario !
Et pourquoi l’état d’âme revient pile au moment du dernier épisode ? Pourquoi on bute sa femme plutôt qu’on le bute lui ?
Tout ça – encore une fois – parce que ça arrange le scénario !


...
Et malheureusement plus la saison avance et plus la série ne cesse de jouer de la baguette magique.
Les hasards sont sans cesse plus gros et sans cesse plus arrangeants, ce qui est chez moi le meilleur moyen pour me sortir de l’intrigue.
Sitôt « Ozark » passe-t-elle en mode « Osef » avec la logique et la vraisemblance qu'il peut dés lors arriver n'importe quoi à ce pauvre Martin, moi je je m'en cogne.
Je sais qu'un heureux hasard viendra toujours le sauver alors où est l'enjeu !


Par exemple, dans le dernier épisode, lorsque Martin est arrêté dans la voiture de Del avec dans son coffre certainement un cadavre, pour moi il était évident dès le départ que jamais le flic ne fouillerait le coffre !
Pourquoi ? Parce que c’était logique ? Non ! Bien sûr que non ! Aucune logique ne devait empêcher le flic de fouiller ce foutu coffre !
Non – encore une fois – ça n’allait pas se produire parce que ça arrangeait le scénario et c’est tout !
Or, devinez quoi ? C’est bien ce qu’il s’est passé : jamais le flic n'a osé fouiller le coffre. Merci la chatasse !


...
Alors du coup - oui - face à des circonstances comme celles-là, on ne peut que comparer « Ozark » à « Breaking Bad ».
Pire que ça : ne pas le faire c'est tout simplement ne pas vouloir voir.
...C'est vouloir sauver son spectacle coûte-que-coûte.


Mais bon - encore une fois - après tout pourquoi pas !
C'est vrai que l'âge d'or des séries est terminé et qu'on s'efforce tous, chacun a notre façon, de faire son deuil.
Le déni est une façon comme une autre de passer un moment difficile. Et si ça fait du bien à certains de se raccrocher à des ersatz de bonne came en se convainquant malgré tout que ça a la même saveur que les plaisirs d'antan, grand bien leur fasse.
Ils peuvent d'ores déjà arrêter leur lecture ici. Cette critique ne leur apportera rien à part de la rancoeur.


Par contre pour les autres qui se questionnent quand même sur la qualité de ce qu'ils ingèrent - et de pourquoi parfois ça leur refile le grand frisson - prenez au moins la peine de mettre le modèle et la copie l'un à côté de l'autre pour mieux constater.
Constatez la réalité de la différence et - mieux que ça - constatez ce que cette comparaison nous dit de la force de l'un et de la faiblesse de l'autre.


L’une des grandes forces de « Breaking Bad » c'était que cette série savait nous offrir un monde cruel qui ne pardonnait rien.
Dans « Breaking Bad » on pouvait vraiment craindre pour ses protagonistes tout comme on pouvait vraiment admirer leurs passes d'armes parce qu'on savait justement que rien n'allait être pardonné.
Dans « Breaking Bad », quand tu te loupes, le monde ne te loupe pas.
Chaque raté ou chaque faiblesse entrainera forcément des sacrifices de la part des protagonistes.
Et c'était aussi ça qui rendait certains choix inacceptables aussitôt davantage compréhensible.
C'était ça qui bougeait les lignes et nous faisait vibrer.
Le poids de ce monde était là. Et c'était ce qui le rendait fascinant.


Dans « Ozark », le monde n'a rien de cruel. Il est magique. Il est fait d'heureux hasards et de tours de passe-passe scénaristiques.
Tout est sous-contrôle. Rien à craindre.
Le monde du crimes tout confort...


Une fois posé ça comme constat, je pense que je n'aurais pas besoin d'expliquer pourquoi je ne suis pas allé plus loin que la première saison concernant cette « Ozark ».
Le plaisir que je pouvais encore prendre au départ - celui d'un « Breaking Bad » light - j'ai su en profiter.
Tout ce que le reste me garantit c'est juste du mauvais « Breaking Bad ».


Alors oui - à bien tout prendre - quitte à devoir me frotter à l'avenir au monde du crime, je pense que je privilégierai les petits larcins classiques mais authentiques aux grands faussaires qui ne savent même pas vendre convenablement du rêve...


Comme quoi, dans le monde de la série comme dans le monde du crime, c'est toujours le vrai talent qui paye.

Créée

le 27 févr. 2021

Critique lue 1.2K fois

7 j'aime

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7

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