Elle est terrible cette incapacité à voir la limite ; à s'aventurer au-delà de ce qui est possible. L'audace en art sera toujours permise, sauf quand on espère faire un double six en ne lançant qu'un seul dé.
C'est une audace terrible parce que démesurée, c'est l'histoire de cette série, sous bien des aspects...
Car qu'est-ce que The Terror si ce n'est une série qui a fini par se consommer de sa propre audace ?
Tout part d'un projet risqué mais ambitieux. Il s'agit de porter à l'écran le roman historico-fantastique de l'auteur à succès Dan Simmons. L'ouvrage est lui-même une drôle d'aventure, entre reconstitution minutieuse de la tragique expédition Franklin, partie à la recherche d'un passage maritime à travers l'Arctique, et d'autre part huis clos anxiogène et horrifique où les équipages des deux vaisseaux concernés – le HMS Erebus et le HMS Terror – deviennent la cible d'une créature mystérieuse...
L'adapter en série n'a rien d'évident. Le succès de l'ouvrage est certes réel mais pas suffisamment pour garantir l'afflux d'un large public. En plus de ça, le plot n'est pas nécessairement vendeur et, au regard du matériau de base, il ne sera même pas possible de développer la série en plusieurs saisons si jamais la sauce devait finir par prendre.
Pourtant Ridley Scott appuie et finance le projet, attirant dans son sillage de jolis noms en provenance de sa perfide patrie : Jared Harris à Ciaran Hinds en passant par Tobias Menzies. Certes des noms qui auront de quoi séduire les connaisseurs de séries, mais pas de quoi déplacer les foules qu'auraient pu drainer un Kit Arrington ou un Brian Cranston.
L'entreprise était donc audacieuse certes, mais parce que ses auteurs ont décidé de la mener avec minutie et savoir-faire, il est arrivé ce qu'il arrive parfois : la qualité a su générer le succès, malgré un parti pris qui aurait pu rebuter de prime abord.
Je l'avoue d'ailleurs, en ce qui me concerne, je ne faisais initialement pas partie de celles et ceux qui étaient prêts à s'embarquer dans cette drôle d'expédition. Et franchement, s'il n'y avait pas eu le nom de Dan Simmons associé à cette affaire – et surtout si on ne me l'avait pas vivement conseillée ! – je pense que je ne serais pas là à vous en parler.
Mais l'audace sait payer parfois, aussi bien pour le spectateur aventureux que pour l'auteur culotté, car je dois bien avouer que j'ai assez rapidement été happé par l'esprit de cette sordide épopée.
C'est que The Terror prend tout de suite la peine de donner le ton, au risque de perdre les esprits les moins intrépides. En fait, tout se joue dès la scène d'introduction. On commence par la fin, et dès le départ on nous annonce que sur l'intégralité des deux équipages, il n'y aura qu'un seul survivant. Pire que ça, on nous donne son identité.
D'emblée donc, la série entend se fermer la voie de l'espoir et du suspense. Dès sa première scène, elle s'impose comme l'auscultation d'un drame annoncé. Une telle invitation pourrait une fois de plus rebuter si la forme adoptée n'avait pas l'intelligence d'assumer et d'affirmer tout de suite un tel choix. Pas ou peu de musique. Pas ou peu de spectaculaire. Des marins à gueule, de la glace et de la brume pour seuls horizons. Voilà qui sait tout de suite imposer une atmosphère. De quoi séduire les spectateurs lessivés par les standards sériels d'aujourd'hui.
Alors certes, l'oeil esthète ne manquera pas de remarquer que ces deux boîtes de sardines naviguent sur une vaste mer de 1 et de 0 et que le froid de cette banquise d'intérieur peine à se faire sentir sur nos épidermes pas dupes. Mais d'un autre côté, on a très vite envie de se laisser berner sitôt la distribution cinq étoiles se mobilise au service du spectacle. Les grands moments de théâtre font toujours oublier les décors faits de tissus imprimés et de planches de bois. Or ce The Terror sait très rapidement faire oublier l'essentiel – l'habile photo aussi, si bien qu'au bout d'un moment, c'est l'essentiel qui finit par remonter à la surface.
Or cet essentiel, quel est-il ?
Il ne tient ni dans les effets de suspense artificiels, ni dans la spectacularisation surfaite : deux données finalement absentes la grande majorité du temps de cette première saison. Non, dès le départ, l'intérêt de ce spectacle est toujours le même : il tient en cette insouciance et cette inconscience. Il y a d'un côté ces officiers qui sont venus stimuler une carrière. Chacun d'eux sent qu'il a besoin d'un coup du destin pour espérer satisfaire ses ambitions sociales et ce passage du Nord Ouest leur apparaît à tous comme ce raccourci social tant souhaité. Et puis, plus bas, dans les étages inférieurs, toute une flopée de marins venus là pour la solde voire, dans le cas de certains, pour une échappatoire. Les seconds ont confiance en les premiers, et les premiers ont confiance en leur destinée, mais aucun au fond ne prend vraiment la peine de considérer le danger de l'expédition au premier plan de ses préoccupations. Au fond, le seul à le faire dès le départ est finalement celui dont on nous a dit d'entrée qu'il sera le seul survivant.
The Terror est donc ce genre de récit : la dissection lente d'une bêtise ; celle d'une humanité sûre de sa technique et de son organisation dans le but de plier la nature à sa propre volonté. Une humanité qui, malgré le danger, s'obstine coûte que coûte à s'engager dans un passage dont il est pourtant manifeste qu'il n'est pas garanti qu'il s'ouvre à eux.
L'Arctique est une mort fait monde, mais nul n'entend vraiment rebrousser chemin vers le monde des vivants. Leur idéalisme profond – idéalisme à prendre ici au sens philosophique du terme – les conduisant vers une irrépressible pulsion de mort. Une pulsion qu'on peut, qui plus est, observer à travers l'oeil de cette autochtone qui ne peut que constater l'incongruité pour ces hommes inadaptés à vouloir rester dans ce piège qui ne pourra que leur coûter la vie. Un spectacle d'autant plus glaçant pour nous que tout ce petit monde est loin d'être antipathique.
The Terror fonctionne comme une vraie série chorale, passant d'un pont à l'autre, des fonctions les plus élevées aux strates les plus basses. Une opportunité pour le duo de showrunners Kajganich / Hugh de nous montrer que, malgré la diversité des rangs et des situations, tous sont embarqués dans le même bateau, vers la même mort, et que face aux réalités basiques et matérielles de ce monde, les bons sentiments ne que pèsent que bien peu.
Franklin est à lui seul le nom et le symbole de ce gigantesque théâtre hors-sol qu'est l'Angleterre. La série se risque d'ailleurs très vite au parallèle. Dans la pièce jouée dès le premier épisode, les officiers, pourtant parmi les spectateurs, arborent déjà ces costumes qui les fixent malgré eux dans des rôles qui n'ont de sens que sur les planches. Hors de la scène, les costumes sont d'une utilité moindre, et même si Franklin a déjà eu à connaître l'amère expérience d'avoir à manger le sien, cela ne l'empêche pas de persister dans l'idéalisme béat. Sa foi en ses hommes a beau être louable et sa verve riche des grands hauteurs classiques a beau le hisser bien au-dessus de son second pour mener les hommes, qu'il n'empêche qu'une fois éloigné des planches, les rôles sont vite appelés à s'inverser et la vérité de chacun à s'affirmer.
En cela, chaque épisode fonctionne littéralement comme un révélateur. Les attributs illusoires tombent un à un : la coquille protectrice que constitue le bateau pour commencer, la chaîne de commandement ensuite, puis la solidarité d'équipage.
Alors les hommes sont-ils appelés à eux-mêmes ; de plus en plus nus face à la mort inéluctable.
Franklin est bien évidemment celui qui est le plus vite rappelé à la réalité des rapports de subordination entre logos et matière. De leur côté, Crozier et Fitz-James laissent progressivement s'épanouir cette noblesse que la Couronne se refusait de voir en eux. Et puis il y a tous les autres : ceux qui perdent lentement leur humanité parce qu'ils finissent par se désolidariser.
Le cheminement est glaçant parce qu'évident. La forme accompagne d'ailleurs merveilleusement bien cette idée. Des visages pâles des mutins aux vêtements qu'on tombe comme si la mort les avait déjà pris, la série n'a pas besoin d'insister, confiante qu'elle est dans son dispositif et surtout dans ses comédiens, encore une fois tous exceptionnels.
Au regard de toutes ces qualités, on en regretterait presque l'élément fantastique qui, bien qu'il soit un élément constitutif de l'œuvre d'origine, apparaît presque ici comme de trop. Pire que ça : il jure. Alors certes on saisit l'idée et on aurait presque envie de saluer la cohérence de la démarche.
J'apprécie notamment le fait que Tunnbaq, symbole d'une sorte de cohésion entre l'humain et son espace, finisse par s'empoisonner à force de dévorer des Anglais, eux-mêmes empoisonnés par cette bouffe industrialisée censée les sauver.
Je trouve même judicieux de montrer, lors du dernier épisode, le visage très antropomorphisé de la bête à l'agonie. Ça génère une confusion entre la bête et l'humain. C'était loin d'être malhabile dans l'idée...
Seulement voilà, le rendu numérique assez regrettable de la bête finit par nous convaincre, épisode après épisode, que c'était LA mauvaise idée de la série. Une mauvaise idée d'autant plus pénalisante qu'elle occupe le cœur du grand final. Un final d'ailleurs sûrement un peu trop insistant sur ce qui était déjà acté depuis un certain temps. Une insistance d'autant plus dommageable au regard du fait que cet ultime épisode – le dixième – nous garantit en parallèle de ça quelques très bons moments ; des moments parfois même très signifiants au regard de ce que cette saison a cherché à bâtir...
Je pense notamment à cette scène où un des derniers survivants, appelé à mourir, rampe parmi un festin imaginaire au bout duquel se trouve son capitaine. Un festin qui rappelle forcément au faste des premiers repas tenus entre officiers et qui constituaient déjà – et dès le départ – l'illustration de leur pleine insouciance et du caractère illusoire de leur puissance.
Ces quelques moments bien sentis sont d'ailleurs ceux qui, au bout du compte, font peser la balance du bon côté. Fort heureusement, cette belle aventure aura su réussir, bon an mal an, à se conclure d'une fort belle façon, menant son bateau à bon port et laissant derrière elle le plaisir de ces récits osés qui ont su nous faire naviguer par des chemins aussi inhabituels qu'inattendus...
...Et autant vous dire que j'aurais aimé pouvoir dire ça de toute la série, dans son entièreté.
Parce que oui, alors qu'il semblait pourtant assez évident qu'une telle œuvre ne saurait se construire autrement que sur une seule et unique saison, il a fallu que le succès rencontré par The Terror conduise AMC à s'engager dans ce périple plus que déraisonnable d'une deuxième saison.
Alors certes, d'aucuns diraient sûrement « pourquoi pas » ; surtout que le duo Kajganich / Hugh a su opter au bout du compte pour la moins pire des solutions. L'œuvre de Simmons étant close, les deux auteurs ont fait le choix de laisser définitivement de côté cette intrigue en Arctique. On repart de zéro. On ne garde rien, si ce n'est un esprit « The Terror ». Dit autrement, on se lance dans le principe de la série anthologique un peu comme True Détective et Fargo l'avaient déjà fait avant eux.
Pas de Simmons auquel se rattacher pour le coup. Ce sera sans filet.
Alors soit, c'est là encore un acte très culotté ; une aventure pleine d'écueils à éviter mais, après tout, le duo est bien revenu vivant et couvert de lauriers d'une première saison déjà pleine de dangers, alors que pourrait-il mal se passer ?
(Ah ! L'insouciance des Hommes...)
Pourtant – et je le concède volontiers – le départ de cette nouvelle expédition ne s'annonçait pas aussi catastrophique que sa réputation désastreuse pouvait l'augurer.
Le premier épisode est plastiquement propre, à l'image de son homologue de première saison. Il amène aussi habilement son univers tout en rupture avec celui de l'expédition Franklin. Pas d'homme mais une femme. Pas des Occidentaux mais une Japonaise. Pas de bateau mais une tradition comme fardeau. Mais malgré tout ça, on devine déjà ce qui va être posé comme référent identitaire commun avec la saison 1. La bascule de l'intrigue opérée vers la communauté nippo-américaine est l'occasion de mobiliser un esprit frappeur. Le lien se fait immédiatement : derrière l'élément fantastique se trouve une nouvelle allégorie. Ici, à défaut de Tunnbaq rappelant les hommes à leurs besoins impérieux de vivre en harmonie avec leur environnement, c'est un bakemono qu'on invoque pour incarner ce fantôme de cette terre des ancêtres qu'on a laissé loin derrière soi. En plus de ça, tout ce petit monde vit de la pêche, comme un clin d'œil fait à ces autres marins qu'étaient les hommes du Terror et de l'Erebus... Franchement ça partait plutôt bien et puis, assez rapidement, l'excès de confiance s'est très vite fait sentir.
Ah... L'insouciance encore et toujours...
Parce que l'audace c'est une chose, mais avoir les moyens de son audace c'en est une autre. Et c'est ce qui a fini par le plus me sauter aux yeux au fur et à mesure des épisodes de cette seconde saison. (À dire vrai, il suffit de deux épisodes pour me rendre compte qu'il y avait un sérieux problème dans cette saison 2, puis tous les autres pour pleurer).
Premier gros souci rencontré : cette nouvelle itération anthologique rompt rapidement avec les marqueurs forts de son prédécesseur, mais sans jamais parvenir à justifier ces ruptures. D'abord c'est l'aspect choral qui est vite abandonné au profit d'un centrage rapide de l'intrigue sur le personnage de Chester. Même chose en ce qui concerne le huis clos, vite rompu par une logique d'arcs multiples qui empêche toute possibilité d'infuser ce lieu qui aurait pu être ce nouveau HMS Terror : le camp de concentration. Et puis enfin surtout : pas de rejet du sensationnalisme ni du suspense artificiel dans cette saison 2. Pas de prise de risque en annonçant d'emblée le drame humain ; en se posant comme une auscultation d'une d'échéance inévitable. Or, au vu des conséquences, aucun de ces choix n'est compréhensible.
Chester, d'abord, est un personnage qui n'a clairement pas la solidité nécessaire pour porter une série de cette ampleur.
Pourtant le premier épisode offrait des pistes intéressantes. Né sur le sol américain, Chester incarne une rupture culturelle avec son père et ceux de la génération d'avant. Alors que ces aïeux ont toujours pour réflexe de courber l'échine et d'aller chercher la dignité dans le silence, lui prend la peine d'exprimer frontalement ses intérêts individuels, de négocier avec le Blanc et de s'y opposer si nécessaire. En cela, c'est un personnage qui est effectivement habilement positionné au regard de cette thématique d'esprit frappeur faisant le pont entre les traditions de là-bas et les modes de vie d'ici. Mais seulement voilà, tout ça est malheureusement vite abandonné. Trop souvent Chester peine à faire exister ou ressentir cette tension entre ces deux mondes. Sa relation avec Luz peine à s'incarner. Leur complicité de couple est inexistante à l'écran. À côté de ça les tensions qu'il génère avec son père semblent tout le temps artificielles et abusives quand ses décisions peinent régulièrement à être justifiées par le scénario et la logique. N'ayons pas peur des mots : Chester, comme la plupart des autres protagonistes, est un personnage lisse, souvent bête, immature et globalement mal écrit. Et si j'ai pu lire ici ou là qu'il était de bon ton de blâmer son interprète, Derek Mio, pour sa prestation moyennement convaincante, je pense qu'il serait plus avisé de s'en prendre à une écriture et à la distribution qui, de manière assez manifeste, n'a jamais cherché dans ses choix le caractère, le relief et la subtilité qu'on pouvait cerner dans la saison 1.
Pour vous en convaincre, regardez juste les tronches des acteurs retenus pour la saison 1 puis celles des acteurs et actrices de la saison 2 et vous verrez déjà que quelque chose pèche grandement à ce niveau-là.
Même constat pour ce qui relève de l'intrigue. Là encore, l'épisode 1 aura su jouer son rôle de leurre au regard de ce qu'allait être l'intégralité de cette saison. En ce qui me concerne, j'avais notamment trouvé judicieux d'amorcer cette histoire sur une petite île fonctionnant déjà comme une sorte de ghetto avant le camp. Les maisons alignées y préfigurent déjà les baraquements concentrationnaires. S'annonce en cela déjà le drame inévitable ; les germes de ce qui expliquera la lente descente dans la déshumanisation...
Et puis finalement non. Après un passage express aux écuries sur lequel on ne s'attarde pas (rendant au passage la séquence totalement superflue), on bascule vers ce qu'on nous ferait presque ressentir comme un camp de vacances. Jamais vraiment on ne ressentira l'oppression ni la déshumanisation puisque la série fera justement tout son possible pour fuir ce qu'elle redoute être, pour son spectateur, une source de tension et d'angoisse, alors qu'il s'agit pourtant là du cœur de son sujet.
Tous les prétextes seront pris pour sortir du camp ; des prétextes sous forme d'arcs interminables – s'étalant à chaque fois sur plusieurs épisodes ! – et qui aboutissent tous de la même manière : chacun nous ramène au bout du compte au camp, mais sans n'avoir strictement jamais rien changé au cours de l'intrigue. C'est juste de la diversion, du temps gagné, de la dilution.
En cela cette saison 2 se révèle très rapidement d'une pauvreté assez infamante ; une pauvreté que le duo d'auteurs va chercher à masquer en développant une des composantes de la série – qui pourtant n'était déjà pas le point fort de la saison précédente – à savoir le fantastique.
Le fantastique, dans cette saison 2, ce n'est pas compliqué à comprendre : c'est juste le mastic à tout faire du scénario. Un trou ici ? Une incohérence là ? Et au milieu de tout ça une péripétie à générer aléatoirement ? Le fantastique est là pour ça.
Le pire c'est que, sur ce point-là encore, le premier épisode adopte une approche intéressante de la question avant que celle-ci ne soit totalement abandonnée (saccagée ?) par la suite.
Parce que, dans le premier épisode, le fantastique occupe finalement la même place qu'il occupait dans la saison précédente. C'était un détail ; un élément se fondant dans le décor ; quelque chose qui sera d'ailleurs longtemps perçu par les protagonistes comme un potentiel élément naturel surinterprêté ; ce qu'est exactement le yurei au sein de cet épisode premier. De temps en temps on voit passer des femmes en kimono, alors on se demande forcément : est-ce là une habitante qui, parmi les dernières, perpétue les traditions d'outre-Pacifique, ou bien s'agit-il d'un fantôme ? L'ambivalence est alors riche de sens et a su d'ailleurs très bien fonctionner sur moi. C'est même autour de cette idée que cette saison a su avoir SA grande idée et qui, pour ma part, me faisait espérer le meilleur pour la suite.
Cette idée, c'est celle de cette balade de nuit le long du pont entre Chester et Luz. Notre attention est portée sur eux et sur ce qu'ils se disent si bien que, si on y prête pas attention, on se repère pas le fait que, pendant quelques secondes, une femme en kimono marche loin derrière eux, apparaissant progressivement à travers l'obscurité puis s'évanouissent comme si elle n'avait jamais été là. Ce détail, il est pensé pour qu'on ne le voit pas forcément, si bien que, si on le repère, il fait son effet. Ça, c'est typiquement l'esprit The Terror. On n'en fait pas trop. On exclut le spectaculaire. On maintient le fantastique comme une symbolique qui surligne la signification de l'instant. Or, dans cette scène, il n'y a rien d'anodin à ce qu'un fantôme japonais poursuive Chester à un moment où il évoque le fait de s'enfuir avec Luz. Ça, c'était l'esprit de la série que je voulais ! Qu'on voulait tous !
Mais bon, comme dit plus haut, de cette belle intention initiale, le duo Kajganich / Hugh n'en fera rien. C'est même au contraire sur cet aspect-là qu'ils vont, tous les deux, totalement craquer.
Chaque épisode est une étape supplémentaire d'abord vers la facilité puis vers l'absurde.
La tragédie peine à s'exprimer au sein du camp ? Alors l'esprit frappeur prendra possession d'un personnage secondaire lambda pour qu'une tragédie se produise. On le fait une fois, puis deux, puis on ne compte plus. Ça finit par toucher n'importe qui ; sans logique particulière ; à l'autre bout du monde si nécessaire. Ça crée un suspense illusoire plus ou moins long. Et puis, la grande majorité du temps, ça n'a pas de réelle incidence.
Au bout d'un moment, toute l'intrigue finit par n'être animée que par ces interventions random, comme le ferait la plus triste des séries B.
Pourquoi Chester quitte-il Luz alors qu'elle est sur le point d'accoucher, ce qui est totalement con ? Eh bah parce qu'il est persuadé qu'ainsi faisant, il éloignera l'esprit frappeur de sa femme, pardi ! Et pourquoi rentre-t-il ? Parce qu'il se fait attaquer par l'esprit frappeur ! Bilan de l'opération : l'expédition de Chester n'aura servi à rien si ce n'est produire un arc narratif totalement vain. Il peut alors rentrer pour bien profiter d'un autre drame qui ne serait peut-être pas survenu si Chester n'était pas parti, à savoir la mort de ses gosses.
D'ailleurs, de manière plus générale, le fantastique finit progressivement par prendre toute la place. L'esprit frappeur apparaît tout le temps, partout. Il commence même à disposer de son propre arc narratif ; arc qui est l'occasion de faire sauter les dernières digues en termes de cohérence d'ensemble.
Voilà donc qu'on apprend que toute cette affaire d'esprit frappeur concerne la mère naturelle de Chester qui, après s'être suicidée en abandonnant son enfant, se retrouve prisonnière d'un étrange purgatoire familial.
Dans ce purgatoire, elle a manifestement trouvé un moyen de revenir au monde des vivants. Dans quel corps ? On ne sait pas trop vraiment (vu que le sien a fini dans l'océan). Pourquoi vingt ans plus tard ? De cela non plus on ne nous dit rien.
Comment peut-elle agir sur le front du Pacifique si elle s'est incarnée en Californie ? Alors certes, il y a bien cette histoire de corps trimballé en sac par un militaire possédé, mais si dans ce cas son corps est désormais sur le front, comment ça se fait qu'elle puisse aussi apparaître au même moment en Californie ?
Et comment ça se fait qu'on puisse carrément la capturer physiquement dans l'épisode 6 ?! Et lui dessiner des trucs sur tout le corps pendant qu'elle est en parallèle de ça dans son purgatoire ?!
C'est juste un putain de bordel.
L'écriture s'octroie tellement de libertés sur cette question qu'au bout d'un certain nombre d'épisodes, même les élements qui n'ont pas trait au fantastique finissent eux aussi par être contaminés par cette atroce nonchalance.
Je pense notamment à ce moment, à la fin de l'épisode 6, où Chester décide de cramer le corps de son yurei avec tout le baraquement qui va avec. Pour rappel, on est dans un camp de concentration blindé de militaires. Quelqu'un réagit-il ? Bah non : personne. Et le baraquement peut cramer ainsi jusqu'au petit matin.
Mais quelle farce...
Pour ma part, j'ai arrêté les frais au milieu de l'épisode 7. Je ne suis pas allé au bout de cette « infamy ». Dans mon esprit, j'ai même décidé de considérer que cette saison 2 n'existait carrément pas, d'où ma note d'ailleurs.
The Terror est et restera , pour ma part, cette seule et unique première saison au cœur de l'Arctique. Ce premier coup d'audace payant ; pas cette nouvelle expédition absurde parce qu'inconsidérée. Car ce n'est pas parce qu'on a déjà réussi une fois un exploit qu'il faut s'imaginer pouvoir le reproduire les mains dans les poches. En cela, l'attitude d'AMC, de Daniel Kajganich et de Soo Hugh, me fait un peu penser à cette conversation qui a lieu au début de la saison 1 et durant laquelle Crozier fait savoir à Franklin qu'il serait peut-être plus judicieux d'abandonner et de rebrousser chemin.
La sagesse à ce moment-là aurait voulu qu'on l'écoute, mais Franklin, trop confiant en lui-même et manifestement trop appâté par son souci de notoriété, a décidé de faire fi de tout. Les bateaux n'étaient pas adaptés, l'équipage pas toujours convenablement formé et les conserves mal conditionnées. Malgré tout, il a voulu y aller à la force de l'esprit plutôt que de rebrousser chemin par la force des choses.
En cela, cette saison 2 n'est finalement que l'illustration du drame mis en exergue par la saison 1. Mal préparés et trop ambitieux, les deux capitaines de cette expédition de trop n'ont fait que sombrer de plus en plus vers la folie, faisant dès lors perdre tout sens à leur entreprise.
Tout cela se conclut avec deux auteurs mangeant leur costume et les spectateurs mangeant leur chapeau.
Au jour où j'écris ces lignes, une saison 3 serait en préparation. A croire que certains n'apprennent jamais de leurs erreurs. Pour ma part, si l'envie me prend de revivre le frisson de The Terror, je sais ce que je ferai à l'avenir : je n'irai certainement pas vers cette future saison 3 qu'on nous annonce, mais me regarderai sûrement à nouveau cette belle saison 1 qui, à elle seule – et défonce.