Est-ce un polar ? Est-ce un drame ? Est-ce un pamphlet politique ? Un thriller ? On savait l'Autrichien friand du mélange des genres : croiser la chronique d'une névrose familiale avec un suspense de film policier (Benny's Video), faire de l'horreur à vocation pédagogique (Funny Games), mais avec Caché le voilà qui entreprend son œuvre la plus ambitieuse. Il faut regarder le film plusieurs fois, de préférence, pour comprendre ce dont il s'agit : un film qui se penche sur des thèmes multiples, en apparence éloignés, sans jamais se départir d'un mystère pesant qui lentement tisse une toile entre ceux-ci. Au centre du récit, la culpabilité, qui traitée de plusieurs manières fait tendre le film vers tous les extrêmes, l'un après l'autre. Le personnage principal est un fantasme de cinéphile à lui seul : une caméra invisible, posée dans une rue, qui avec une immobilité glaçante enregistre des gens qui marchent. Nul ne voit cette caméra ; on en cherche l'origine, on ne comprend pas comment peuvent être capturées ces images, et pourtant elles sont là, effrayent par leur tranquille neutralité. C'est peu et beaucoup à la fois, Haneke jouit de cet œil indiscret comme d'un nouveau moyen de pénétrer à l'intérieur de l'âme ; il y sonde une tumeur puis la traque avec cette précision chirurgicale qu'on lui connaît, fait sauter une à une les défenses d'un homme par le seul pouvoir suggestif de cassettes vidéo ne montrant, finalement, rien. La tension naît de ce rien, le suspense se bâtit autour de la possibilité d'un lourd secret. Par petites touches, l'histoire se précise et se floute à la fois, on passe d'un doute à l'autre sans jamais avoir de certitude. Le tour de force est d'être parvenu à construire l'intégralité du film sur ce seul équilibre, cette ignorance permanente d'enjeux qu'on devine pourtant extrêmement importants. Le montage, brillant, suggère un malaise tour à tour familial, générationnel ou historique ; il épouse par son style cassant et autoritaire cette fameuse culpabilité sous toutes ses formes, naviguant entre l'intime et le théorique, l'action et la réflexion.

Haneke fait mine d'attaquer de front les névroses de ses personnages, multiplie les diversions pour toujours mieux dissimuler la teneur réelle de son propos. Ce refus permanent de la facilité pourrait ramener chez quelqu'un d'autre à un tic auteuriste fatiguant ; ici l'incompréhension est la clé du film, dont l'objectif est alternativement de perdre, puis récupérer le spectateur pris dans une boucle infinie. C'est un saut à l'élastique où on s'approche sans cesse de la vérité pour mieux s'en éloigner ; où, tandis que les pistes se brouillent, on met le doigt sur un dénominateur commun qui renvoie effectivement à quelque chose d'intime et d'universel. Comme nul autre Haneke est le témoin de la tristesse des hommes, qu'il filme en plans-séquences en train de pleurer, d'une manière si dérangeante qu'on a toujours l'impression de violer l'intimité des personnages. Comme nul autre il suggère des douleurs, il puise de ses pauvres humains un suc amer et fataliste qui remonte à la surface sans prévenir. Il filme la crasse avec propreté, nous dit sans émotion des choses terribles mais vraies. L'idée comme toujours n'est pas de déprimer, mais de faire réfléchir. De ce point de vue Caché est, de loin, son meilleur film dans la mesure où l'imbrication des différentes intrigues ne se dévoile qu'après plusieurs visions attentives, où derrière ce thriller d'une dureté stupéfiante on finit par trouver des indices d'une vérité plus profonde, tant intime que sociale, où l'Histoire est parfois appelée en renfort dans le seul but de consolider un tout autre propos.

Caché se termine dans la confusion, l'incompréhension mais aussi l'espoir. C'est un film qui respire à la fin ; qui lorsqu'on le saisit témoigne d'une hauteur de vue vertigineuse. Le réalisateur convoque un à un ses fantômes préférés en les enfermant dans un suspense qui peu à peu vire au cauchemar : il presse sa thématique en donnant toujours l'impression de faire autre chose – en l'occurrence un thriller étouffant et incroyablement prenant, presque un film fantastique qui n'aurait aucun équivalent connu. Ce qu'on a vu s'est-il vraiment déroulé ? A-t-on regardé un film ou un exposé ? Après avoir réuni ses arguments pour en former un bloc compact n'appelant aucune contestation, Haneke garde l'élégance de nous laisser juge. Jamais il n'a réalisé de film aussi humble et intelligent derrière cette habituelle façade rèche qui est sa marque. Chaque vision amène une nouvelle réflexion, dévoile un nouveau discours, des détails auparavant inaperçus qui complexifient le propos. A la fin de la première d'entre elles, on n'est sûr que d'une chose : c'est un film humain et noble, qui gratte et qui dérange. On a envie de croire à un futur meilleur alors que le passé s'est écroulé, emportant dans son sillage le présent, triste et minable, qui ici ne se reflète qu'à travers le regard vide d'une télévision allumée.
boulingrin87
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le 20 sept. 2012

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le 24 sept. 2012

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Seb C.

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