Commençons par rendre à César ce qui est à César : Pascal Laugier est un des grands noms du cinéma fantastique français contemporain. Il est arrivé sur les écrans dans les années 2000, ô combien bénies pour le genre, il a concurrencé Aja, Khalfoun, Maury et Bustillo, pour ne citer qu’eux ; il a tourné très peu de films (Ghostland est seulement son quatrième) mais tous ont été remarqués, autant que discutés. C’est là l’une des grandes caractéristiques du cinéma de Laugier : les perpétuelles controverses de ses films, soit trop improbables, soit trop intenses, soit trop éparpillés, voués à diviser et pourtant assidûment regardés et commentés par tous. Laugier est un cinéaste qui sait donner envie de voir ses films. C’est aussi un cinéaste qui, malgré les déceptions qu’il peut infliger, invite à une certaine bienveillance. Peut-être parce qu’il véhicule une passion peu commune. Peut-être parce que le lire, l’écouter, le voir en interview a quelque chose d’exaltant, une présence, une force de caractère qui fascinent. Peut-être, aussi, parce qu’il fait preuve d’une productivité raisonnée, qu’il donne l’impression de prendre son temps, vertu de plus en plus éloignée des standards actuels du genre où on encourage les cinéastes bankables à sortir leur film annuel (James Wan, Shyamalan…).
Et puis zut, Laugier restera pour toujours le réalisateur du mythique Martyrs, film d’horreur mutant au parcours aussi torturé que son auteur, dont la seule existence raconte l’histoire, passionnante, du combat d’un cinéaste pour sa liberté d’expression. Sans doute plus que n’importe quel autre film d’horreur français, Martyrs a tissé sa propre légende, une légende faite d’interdictions d’exploitation, de revirements de cap, d’anecdotes de tournage hallucinantes et même de tragiques faits divers qui en font le film d’horreur le plus authentiquement sulfureux et sombre de sa génération, autant qu’un témoin inestimable de sa propre époque. Il fut un temps où Pascal Laugier fut le meilleur pourvoyeur de films d’horreur cabossés et passionnants, bref, le chantre le plus absolu de la série B dans tout ce qu’elle de glorieux, d’atypique et même de détestable. A ce titre, et surtout aujourd’hui où les vrais films d’horreur se font très rares, il reste un cinéaste incontournable.
Etant lui-même honnête, Laugier mérite l’honnêteté. Ce n’est pas ça qui va le tuer, il n’y qu’à voir la plâtrée de récompenses reçues par Ghostland. Je vais donc être honnête : Ghostland est une purge. Ça n’est qu’à moitié une surprise, car il faut s’attendre, avec Laugier, à voir une daube. Celle qu’il nous sert ici est une véritable, authentique, daube 100% pur bœuf. C’est sincèrement l’un des plus mauvais films d’horreur qu’il m’ait été donné de voir de ma vie, pourtant riche en expériences de séries B foireuses. Laugier s’est fait plaisir en racontant une histoire totalement improbable, bourrée de plot twists idiots qui semblent vouloir compiler en un seul film ce que Shyamalan fait en cinq. Les quinze premières minutes sont excellentes, mais tout s’écroule au fur et à mesure jusqu’à devenir cendres. Un festival ininterrompu de clichés, dans les décors ou dans les péripéties. Du gore, du malaise, des poupées, des morceaux de chair arrachées, il y a même quelqu'un qui s'urine dessus. C'est Mylène Farmer et Lovecraft contre les serial killers dans la maison de Conjuring.
On est en terrain connu, on reconnaît les obsessions typiques du cinéaste, au premier rang desquelles une volonté sans compromis d’en mettre plein la vue, de susciter le respect par une tripotée d’effets scénaristiques 2deep4u et la volonté, désormais gravée dans le marbre, de raconter des parcours de femmes maltraitées. Entre l’œdipe mal digéré et le snuff-movie DTV trop plein de passion pour son propre bien, Ghostland a bien failli me faire exploser de rire au bout de trente minutes, avec sa multitude d’effets archi-appuyés, sa musique omniprésente, ses jump-scares partout, ses héroïnes au visage tuméfié se battant contre leurs démons intérieurs et extérieurs, ses retournements de situation à la fois complètement imprévisibles et complètement prévisibles – un paradoxe très typique du monsieur. Quiconque a déjà vu un film de Pascal Laugier y retrouvera toutes ses marottes, tous ses tics, comme une sorte de best-of foireux. En dire plus serait spoiler, car l’essentiel du film puise sa personnalité dans l’évolution de son scénario. Mais celui-ci a le trait si gros (si grossier), est mû de manière si ostentatoire par le seul désir d’en imposer, qu’il finit inéluctablement par se dégonfler sous le poids de sa propre prétention.
Pourquoi Ghostland a-t-il reçu autant de prix ? J’ai bien une réponse : le désert de la concurrence. Le festival de Gérardmer, autrefois référence internationale qui favorisa l’éclosion de grands noms du fantastique, n’est plus que l’ombre de lui-même, condamné à ramasser les restes laissés par les gros voraces d’aujourd’hui (coucou Blumhouse). Peu de films récents ayant été primé dans ce festival autrefois prestigieux ont réussi à éveiller mon intérêt (à quelques exceptions notables, dont l’excellent Southbound en 2016). Mais le succès de Ghostland à Gérardmer traduit aussi l’amour du public pour le cinéaste, qui a su tisser un réel lien avec ses spectateurs. Certes, je ne comprends pas comment un film aussi maladroit, aussi mal scénarisé, aux effets d'angoisse aussi éventés, au message aussi lourd, a pu finir primé. Déjà, un prix, ça laisse songeur. Mais alors, trois. Ça me fait juste réfléchir sur l’état du cinéma fantastique contemporain. Sur sa nature même. Sur le pourquoi du comment un film d’horreur sort aujourd’hui en salles. C’est pourtant aussi l’histoire racontée par Ghostland, fidèle à l’historique très méta de la filmo de son géniteur : comment la passion peut vaincre tous les obstacles, comment la vision d’un cinéaste, aussi fumée soit-elle, peut être la clé d’un succès. Ma relation d’amour-haine avec les films de Pascal Laugier est donc loin d’être terminée.