En 2017, Laetitia Dosch se révélait sous l'œil de Léonor Serraille dans "Jeune Femme", émouvant manifeste féministe que le festival de Cannes auréola de la prestigieuse Caméra d'or. On y découvrit le talent de l'actrice, qui façonna le film à son image : à la fois fort et fragile, ouvert et combatif, tendre et décidé. Profondément enraciné dans son époque, et pourtant délicatement aérien dans sa façon très humble d'aborder des thématiques sociales brûlantes, "Jeune Femme" est resté l'un des films français modernes les plus justes dans son traitement du sujet ; et ce, sans doute parce qu'il a su soigneusement éviter les constructions antagonistes devenues plus ou moins normalisées aujourd'hui, en s'armant du simple bon sens de refuser tout discours de haine ou autre montage idéologique visant à maintenir un débat artificiel. Le cinéma et les causes sociales ont ceci en commun qu'ils peuvent rassembler, nous faire embrasser autant la beauté d'un geste que la justesse d'un combat : pour toujours, on saura gré au couple Laetitia Dosch et Léonor Serraille d'avoir rappelé ces évidences.
Mais le temps file à toute vitesse, car voilà-t-y pas qu'à peine 7 ans plus tard, tout semble déjà avoir changé dans la façon de transmettre artistiquement un combat pour une cause. Plus rares désormais sont les films qui invitent à l'apaisement et à la réflexion ; banals sont devenus les brûlots et autres pamphlets visant moins à convaincre de la justesse de nos luttes que de l'inanité de celles de nos opposants, qui sont d'ailleurs passés du statut d'interlocuteurs à ceux d'accusés. Est-ce cette dérive que la grande Laetitia Dosch espère pointer du doigt dans le "Procès du chien" ? Le canidé ne serait-il pas, au fond, la simple anthropomorphisation des aboiements idéologiques de notre époque ? Tout, dans le passé de Laetitia Dosch, l'actrice de génie, semble nous affirmer que si. Tout aussi, dans le style vociférant et catégorisant de Laetitia Dosch, la nouvellement réalisatrice, semble nous affirmer que non. Nous voilà bien embêtés.
Il faut peut-être faire l'expérience d'une séance à l'aveugle, découvrir après un tiers de métrage le pot-aux-roses de ce procès, pour écarquiller les yeux face à la violence de son propos. "Ce chien est misogyne !" hurle en effet une Anne Dorval en totale roue libre dans une scène clé qui marque un véritable point de pivot de l'intrigue, où il s'agira dès lors pour l'héroïne de faire en sorte que ce chien arrête de détester les femmes. Après s'être pincé pour vérifier qu'on ne rêvait pas, on commence à calculer les innombrables voies de garage progressistes empruntées par le scénario, qui case partout où il peut du hashtag inclusif comme un mécano cocherait les cases du contrôle technique d'une Clio de moins de quatre ans. En choisissant d'adhérer à la thèse du second degré, on ne peut dès lors que remarquer les impardonnables approximations d'écriture et de mise en scène, les personnages inexistants, les thématiques abordées par-dessus la jambe comme un mauvais vaudeville ; et, pour les connaisseurs de la carrière de l'actrice/réalisatrice, une tendance malheureuse au pillage en moins bien des moteurs dramatiques de "Jeune Femme". Sur ce dernier point, des dents grinceront en observant Dosch revisiter la délicate romance entre une Blanche et un Noir du film de Léonor Serraille avec un duplicata cul et vulgaire consistant à montrer la raie des fesses de Jean-Pascal Zadi en guise d'allumage de passion... ça se voudrait drôle, ça se voudrait provocateur, ça n'est finalement ni l'un, ni l'autre.
De manière générale, le Procès du Chien nous renvoie, malgré lui, à une certaine laideur de notre époque quand on parle d'engagement politique ou social dans le cinéma ou l'audiovisuel en général. Le film est énervé, agressif, ouvertement vociférant (les aboiements réguliers du protagoniste ne masquent pas les hurlements permanents de l'ensemble du casting), flanqué de punch-lines gratuitement violentes qui ressemblent à des tweets d'illuminés extrémistes (le coup du chien misogyne n'est malheureusement pas un cas isolé). La dénonciation a bon dos quand il ne s'agit finalement que de servir la soupe à des idéologies mortifères, qui ne s'expriment que par la violence verbale ou physique, qui n'envisagent les combats inclusifs plus que comme des rounds de boxe où l'on tabasse son adversaire à coups de jugements à l'emporte-pièce.
C'est d'autant plus triste et bête que même le propos le plus trouble peut devenir, par la magie du cinéma, convaincant ou pertinent. On aurait pu imaginer mille et une façons de rendre puissant ce qui est finalement un film de tribunal de plus, genre quasi-impossible à rater qui, rien que ces derniers mois, a permis de grandes réussites artistiques et rhétoriques, que ce soit chez Justine Triet (Anatomie d'une chute), Cédric Kahn (Le Procès Goldman) ou feu William Friedkin (L'Affaire de la mutinerie du Caine) ; des œuvres majeures que de bons acteurs, des dialogues soignés et une mise en scène sobre ont suffi à rendre passionnantes, y compris malgré certaines dérives discursives, par exemple dans le cas du Friedkin qui véhiculait des idées un poil réac. Ici pourtant, rien ne fonctionne, parce que rien n'essaye de fonctionner. Les acteurs n'ont aucun personnage à incarner, réduits à des lignes de dialogue provocatrices incapables de dresser la moindre personnalité tangible (Anne Dorval, Jean-Pascal Zadi, François Damiens et Mathieu Demy sont en pilote automatique, voire jouent carrément mal). Le personnage même du tribunal est bâclé, géographiquement abscons, jamais filmé d'une manière qui permette ne serait-ce que de situer les personnages dans l'espace, toujours enfermés dans de très gros plans masquant jusqu'à leur gestuelle, le tout monté de façon bien trop cut pour qu'on ait le sentiment que les prises aient été faites d'une traite. Enfin, la tendance affichée du film de vouloir bouffer à tous les râteliers progressistes, que ce soit dans un but de défense ou de dérision, condamne la cinéaste à multiplier des ouvertures de pistes qui jamais ne seront refermées, avec une infinité de quêtes secondaires (l'amourette de l'héroïne, sa protection d'un gosse maltraité, son parcours professionnel chaotique, la vulnérabilité de son client, sa relation avec un manager sexiste et toxique...).
On termine la petite heure et demie de ce Procès exsangue, fourbu. Tout le champ lexical des grandes causes sociales y est passé. Chaque acteur a gueulé pour le simple plaisir de gueuler. Chaque star a cachetonné en faisant ce qu'elle fait d'habitude, sans pouvoir donner corps à un personnage. Il y a bien eu quelques moments vraiment drôles, notamment au tout début avec la masterclass de Pierre Deladonchamps en authentique connard sexiste qui se paie la seule vraie vanne du film à être assumée dans sa cruauté et son absurdité ; mais même celle-ci laisse un arrière-goût amer au générique de fin, quand on considère les pistes de "réflexion" (les guillemets ont leur importance) que tente d'asséner la conclusion. Nous est alors laissé un choix : considérer que Laetitia Dosch est restée la même Jeune Femme depuis 2017, et qu'elle a tenté d'interroger maladroitement un climat social anxiogène en échouant à cause de son inexpérience de cinéaste ; ou qu'elle s'est à son tour laissée vriller le cerveau par un air du temps agressif, voué à surjouer les émotions les plus extrêmes pour faire entendre sa cause. Difficile d'y voir très clair là-dedans ; la seule chose sur laquelle chacun pourra tomber d'accord est l'abrutissante médiocrité formelle de l'emballage, qui ne fait honneur ni à sa réalisatrice, ni à son casting.