Metaphor: ReFantazio
7.7
Metaphor: ReFantazio

Jeu de Studio Zero et Atlus (2024PC)

Ne le niez pas : vous n'aimez plus les J-RPG. D'un côté, Square Enix et ses productions interchangeables, qui pour se renouveler ne trouvent rien de mieux que d'hybrider le genre avec l'action pure, tout en exagérant sur le grind le plus bêtement chronophage et en réussissant mystérieusement à rendre opaques des systèmes pourtant toujours plus simplistes, bouffis d'écrans de tutos incompréhensibles et sclérosés par une écriture infantilisante. De l'autre, Atlus et ses productions plus exigeantes, mais désormais cantonnées à des univers qui vendent de moins en moins de rêve, à des romances écolières interdites aux plus de 16 ans entre lesquelles s'enchaînent de mornes couloirs de bâtiments contemporains à angle droit et affligés d'une génération procédurale répétitive. Entre les deux, des outsiders honnêtes, mais ici pas traduits, là trop passéistes, là encore trop coupants aux entournures pour donner envie aux vieux de reprendre en main un genre qu'ils ont abandonné depuis dix, quinze, vingt ans. La jungle moderne du J-RPG, malgré la réputation de renouveau que certains lui prêtent depuis quelques années, est devenue inhospitalière, cantonnée à un public déjà conquis et réticente à l'idée de vraiment faire des efforts pour ramener dans son giron "les anciens et les nouveaux venus" (ainsi que Final Fantasy XV définissait pourtant récemment sa cible, dans un triste élan de déni de réalité qui lui a valu, comme à tant d'autres, de se vautrer dans les charts sans que ses successeurs n'aient pourtant la présence d'esprit de se remettre en question).


Et puis, pouf, l'air de rien, presque en shadow drop (les connaisseurs qui en suivent la discrète actualité savent juste que le jeu était en gestation depuis 2016), le challenger Atlus sort de son chapeau Metaphor : Refantazio, avec pour seul plan de com une démo jouable de 5 heures permettant de relier ce jeu avec ses aînés indirects. Soit, donc, la série Persona, dont il reprend l'essentiel des systèmes, incluant la notion de temps qui passe et de planification au jour le jour, les archétypes (ou classes, ou jobs...) à faire évoluer, à distribuer et à changer selon les besoins parmi les membres de notre groupe, et la scénarisation bien dense qui tartine du dialogue à tire-larigot sans grand ménagement pour le vétéran de Dragon Quest qui se demande inévitablement ce qu'il fout là après même pas une heure de "jeu". Ce dernier point restera la barrière à l'entrée la plus coûteuse pour quiconque ne goûte guère aux blablas sans fin bien connus des productions Atlus, lesquels n'hésitent pas à régulièrement prendre le pas sur l'interactivité lors d'interminables tunnels narratifs de trente, quarante, soixante minutes qui rendraient barjo n'importe quel joueur venu pour jouer ; le cas de votre serviteur, qui, malgré ses articles à rallonge sur Senscritique, n'est pas le dernier à râler quand on lui demande de lire des mots dans ses jeux.


Mais Metaphor Refantazio a son truc, sa petite astuce à lui pour convertir les réticents à sa cause : il propose du neuf. Toutes proportions gardées, s'entend, tant sa formule est similaire aux Persona modernes ; mais du neuf quand même. Et avec du vieux, ce qui n'est pas moins méritant. Le premier vent de fraîcheur souffle sur son univers, qui troque le cadre réaliste et contemporain des Persona pour un conte médiéval-fantastique beaucoup plus proche de la définition canonique du J-RPG. Il y a des dragons, des gobelins, des cavernes et de la magie maîtrisée grâce à la technologie. Il y a des déserts, des forêts, des plaines, des glaciers, des villages. Ce n'est évidemment pas nouveau si on considère tout cela dans la grande histoire du genre, mais à condition de circonscrire les comparaisons à l'école moderne Atlus, on est dans une forme d'originalité qui permet d'appréhender des systèmes bien rodés, et restés exclusifs à des univers urbains, sous un jour nouveau. Le monde de Metaphor évoquera ainsi les Final Fantasy de la dernière ère de la PS1, les Legends of Heroes, jusqu'au maudit Lost Odyssey de Sakaguchi et Takehiko Inoue qui partage avec le dernier né d'Atlus un goût prononcé pour le steampunk et les personnages mûrs (en dépit de leur apparente jeunesse). La nouveauté se rapporte d'ailleurs, comme chez ce dernier, à l'absence de certains réflexes devenus pénibles dans leurs automatismes : l'absence de romance, l'absence de personnages à draguer, bref, l'absence de cul. On ne vient pas dans Metaphor pour se taper des lolis, il y a plus important à faire, comme par exemple, je ne sais pas, moi, sauver le monde ; et cette solennité des enjeux permet à la narration de s'épanouir. Cet évitement du ton habituellement badin et grivois du J-RPG est certes classique de la part d'Atlus, mais le mariage de ce choix avec un cadre fantasy plus classique est un peu plus rare et mérite d'être considéré.


Et si le mot "maturité" est sacrément galvaudé quand on parle d'histoire, il devient un peu plus pertinent quand on évoque les gros jeux post-2020, devenus la proie de cahier des charges inclusifs à l'exaspérante littéralité. On peut d'ailleurs soupçonner Atlus de l'avoir parfaitement compris, lui qui s'échine depuis un moment à proposer des versions françaises impeccables dont il s'est pourtant historiquement tenu à distance - Metaphor Refantazio est parfaitement indiqué pour un public francophone grâce à sa traduction de très grande qualité. C'est donc aussi sur l'échiquer de la production mondiale qu'il faut placer ce jeu, lequel, en tant que production non-occidentale (autant nommer les choses), refuse naturellement la soumission à ces fameux codes narratifs tendant étrangement à prendre leur public pour des huîtres dénuées de capacité de réflexion. L'exploit est aussi évident qu'il est drôle : le jeu d'Atlus tient ainsi un propos éminemment politique, en assumant d'être intégralement sous-tendu par un argument fort, presque central, sur le racisme, le vivre-ensemble et l'oppression des minorités au sens large ; mais il le tient dans le cadre d'une vaste... métaphore (rires), en arrière-plan d'une intrigue romanesque. Un arrière-plan bien visible, mais jamais vampirisant, qui permet de faire connaissance avec de nombreuses tribus aux traits distincts (neuf, en l'occurrence), de se familiariser avec un contexte géopolitique relativement complexe, tout en étant régulièrement amené à méditer sur l'exercice de la démocratie, ses rouages et ses interdépendances avec la religion. Personne n'en ressortira bouleversé, mais le scénario a ceci de brillant qu'il veille à garder un œil neutre, "centriste" (rendez-vous compte), embrassant en un seul et ample discours des points de vue multiples, suggérant équitablement vertus, risques et possibles dérapages de ceux qui exercent le pouvoir ou qui y aspirent, que leurs intentions soient bonnes ou mauvaises ; plus loin, qu'il n'existe finalement pas de mauvaise intention dans le cœur des hommes, mais plutôt le risque, presque plus dangereux, de céder à la tentation et à la corruption. Dit comme ça, tout cela peut sembler très sérieux et pompeux, mais voilà, l'école japonaise, et plus particulièrement celle d'Atlus, garde ceci de noble qu'elle est capable d'être équitablement divertissante et philosophique, d'amuser tout en faisant réfléchir une fois la manette reposée. C'est un exploit dont sont devenues viscéralement incapables nos productions occidentales, et qui de fait rend un tel traditionalisme plus précieux aujourd'hui qu'il ne l'était il y a à peine dix ans. Il est devenu assez rare d'avoir l'impression d'être moins con à la fin d'une partie de jeu vidéo qu'à son début : pour cela, Atlus, merci.


Or, pour réussir à interroger efficacement la réalité par le prisme de la fiction, un jeu doit avoir de sérieux arguments à faire valoir dans sa partie interactive. C'est l'un des objectifs que se fixe Metaphor Refantazio, qui tente quand même une petite audace par rapport aux Persona : même si ce n'est pas tout le temps flagrant, on observe un certain recul des phases "spectateur", qui, bien que toujours très présentes (à vue de nez, facilement la moitié du temps de jeu), tendent à s'effacer derrière l'expérience ludique. Le joueur, celui qui veut jouer, qui veut tester des stratégies, parcourir des donjons tortueux, faire des choix qui comptent et tabasser des monstres, s'y voit plus respecté que d'habitude, et ce pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la structure calendaire traditionnelle des Persona, si elle est reproduite à l'identique, se montre plus souple, avec une moindre "paralysie de la décision", cet aspect grevant la série-phare d'Atlus qui donnait constamment l'impression de rater du contenu à cause d'un chronomètre trop contraignant. Ici, le temps s'écoule plus paisiblement, les quêtes secondaires se donnent le temps d'être résolues sans devoir faire une croix sur la moitié d'entre elles. On est moins pressé, on respire, on s'adonne plus librement aux activités principales ou annexes sans avoir l'œil rivé en permanence sur la prochaine échéance. Conséquence naturelle, on se prend moins la tête sur ce qu'on risque de rater, et on se concentre plus sur l'optimisation de nos stratégies, lesquelles, pour le coup, se révèlent toutes stimulantes, innombrables et plaisantes à tester ou à mettre en œuvre. Le système de combat au tour-par-tour, les jobs, la progression dans des traits de caractère permettant de déverrouiller des quêtes ou des façons de jouer se répondent harmonieusement, et l'on navigue sans trop se poser de questions entre les dimensions tactique et sociale de l'aventure, répartissant au jugé nos journées entre l'exploration de donjons au level design très réussi, les discussions avec divers personnages débouchant sur l'améliorations d'un large éventail de compétences... les choix sont fluides, instinctifs et peu punitifs, tandis que le niveau de difficulté, parfaitement réglé, se maintient en embuscade raisonnable. Lâchons l'expression : Metaphor Refantazio est plus facile que les Persona, sans pour autant donner l'impression au joueur qu'il peut se relâcher et faire n'importe quoi. Et c'est agréable.


Particulièrement bien fichu, le système de combat déborde de possibilités tactiques, à l'intérieur comme à l'extérieur des batailles. A l'intérieur, l'exploitation de synergies entre les jobs (nombreux, plus ou moins secrets, plus ou moins utiles aussi), la gestion des lignes avant et arrière, la prise en compte des points d'action partagés entre tous les membres du groupe qui s'inspire pour le coup du "phased turn-based" à l'occidentale demandent de faire des choix qui comptent à chaque action de chaque personnage. A l'extérieur, l'apprentissage de nouvelles techniques, la recherche d'une bonne complémentarité entre les jobs, l'adjonction possible de compétences extérieures aux jobs de nos personnages invitent à tenter les combinaisons les plus originales. Enfin, à mi-chemin entre les deux, l'exploration des donjons, le contact avec les ennemis (qui sont visibles sur la carte ; pas de rencontres aléatoires) et les façons d'engager le combat en fonction de chaque classe (comme l'élimination automatique des ennemis les plus faibles ou les attaques de zone ou de proximité pour étourdir l'adversaire avant le combat) finissent de donner l'agréable impression que l'on peut customiser sa stratégie jusqu'au degré le plus infime. On se retrouve donc à vraiment s'amuser d'un point de vue tactique, tout en faisant entrer nos choix en résonnance avec la narration, particulièrement à travers les interactions sociales chères au développeur, qui éclairent d'un jour nouveau l'univers du jeu par des révélations, des dialogues, des points de vue exprimés... toujours variés et servant directement notre implication dans l'histoire. Rien d'étonnant compte tenu de l'historique d'Atlus, mais la possibilité de profiter du jeu de façon plus posée que dans un Persona met naturellement en exergue la richesse de ses nombreux systèmes, que l'on entreprend dès lors de dévorer avec une boulimie inarrêtable.


Dire que la recette parfaite a été trouvée serait toutefois mentir, car même plus souple, même moins baratineuse, celle-ci garde cet arrière-goût désuet pas toujours agréable, ce même arrière-goût qui maintient historiquement à distance les réfractaires au genre... lesquels, ici, ne trouveront pas forcément de quoi changer fondamentalement d'avis. Disons sans surprise que Metaphor Refantazio, malgré sa direction artistique de qualité (qui fait donc quand même l'essentiel du boulot) est un jeu techniquement moche, affligé d'une 3D sommaire et scintillante qui nous renvoie à la génération PS360. Grevé par des performances pitoyables et dévoré par un aliasing d'une férocité immonde quels que soient les réglages et y compris sur PC, l'aspect visuel n'est sauvé que par les splendides portraits dessinés des personnages qui s'affichent pendant les dialogues, ainsi que par le character (et boss) design impeccablement maîtrisé. Bon an, mal an, on y trouve son compte, et plus le temps passe, plus ces considérations techniques ont tendance à se faire oublier, mais il y a parfois être de quoi interloqué par une technique aussi basique en 2024. On peut également se plaindre de la clarté assez relative de l'interface, particulièrement concernant la gestion de l'équipement et la répartition des actions en combat. A l'usage, on a beau constater que des aménagements intelligents ont été réalisés nous épargnant un certain nombre de clics inutiles, ou que des indices visuels nous avaient échappés, l'aspect excessivement stylisé du moindre menu a tendance à fatiguer l'œil et à masquer les informations les plus importantes. Tous ces problèmes, cependant, ne sont pas graves, dans le sens où ils n'impactent pas l'expérience sur le temps long. Avec sa durée de vie autour de la centaine d'heures, et la distillation progressive de ses différentes mécaniques qui jamais ne recourent aux tristement célèbres écrans de tuto de la concurrence, Metaphor Refantazio reste un jeu étonnamment facile à prendre en main compte tenu de sa complexité, et étonnamment agréable à regarder compte tenu de son bilan technique affligeant.


Les plus acharnés pourront même voir dans ces choix d'apparence contestable les preuves d'un certain bon sens, tant l'objet se montre capable de se faire comprendre simplement et rapidement en toutes circonstances, qu'il s'agisse d'introduire des mécaniques pourtant assez complexes (comme le système calendaire ou le changement de jobs) ou de peindre une ambiance envoûtante avec trois pauvres polygones et un joli dessin. Peut-être qu'on a donc le droit, aujourd'hui plus qu'hier, de négliger ces défauts, d'accepter leur aspect excessivement roots pour embrasser une expérience elle-même traditionnelle dans le bon sens du terme. Le jeu de rôle post-2020 fonctionne dans une sorte de temporalité inversée à la Christopher Nolan, dans laquelle, pour échapper aux afféteries modernes qui contribuent à éloigner toujours plus le genre de ce qui a fait sa popularité, on est invité à se plonger dans des visions plus désuètes en apparence, mais qui ne font finalement que retourner à la complexité primordiale d'un genre moderne à l'agonie. Retrouver une telle finesse conceptuelle, une telle profondeur narrative dans un jeu aux atours techniques aussi modestes n'est alors plus forcément un problème : cela peut même devenir, au contraire, une forme de bénédiction, la preuve qu'il existe encore des développeurs qui tiennent à transmettre leur propre vision du genre, exigeante, entraînante, et accueillante. S'agissant là de ma meilleure expérience de J-RPG depuis des temps immémoriaux (à vue de nez, je ne me suis pas autant amusé sur un jeu du genre depuis Dragon Quest IX sur Nintendo DS, en 2009), je ne peux que m'en réjouir - et sans doute vous aussi, si, comme moi, vous en aviez un peu marre.

boulingrin87
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le 17 oct. 2024

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Seb C.

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