Octodad, c'est peut-être la fausse bonne idée de jeu vidéo, ou la vraie bonne idée qui ne tient que le temps d'un délire de cinq minutes, ou encore la vraie bonne idée exploitée n'importe comment. Des deux heures qu'il faut pour le terminer (!), seules les vingt premières minutes sont réellement marrantes, découverte d'un gameplay totalement barré en phase avec un univers volontairement naïf et coloré. Qui pourrait croire que cette pieuvre en cravate est un humain ? Tout le monde, apparemment. L'Octodad possède une femme, deux enfants, un élégant pavillon. Le joueur a pour seul objectif de le guider le long d'une "journée type" de banlieusard, en contrôlant ses tentacules indépendamment, deux d'entre eux lui servant de jambes et deux autres, de bras. Une grande partie de l'intérêt du jeu réside dans la maniabilité volontairement imprécise, qui rend très difficile la maîtrise de l'amplitude des mouvements : le seul fait de mettre une jambe devant l'autre est un exercice périlleux où l'on envoie balader le mobilier alentour, où l'on renverse les tables, les chaises, les coussins, où l'on fout une étagère en l'air simplement en tentant de franchir la porte d'à côté et où l'on transforme la cuisine en boxon innommable parce qu'on essaye de préparer un vulgaire café. Les premières minutes du jeu, largement relayées sur la toile et qui sont à l'origine de la montée du buzz autour de ce projet kickstarté, valent le détour : une cérémonie de mariage d'une loufoquerie qui fait rire au point d'en donner mal au ventre, une séance de délire domestique où l'on bazarde tout dans la salle de séjour sous les remarques innocentes d'une famille qui agit comme si tout était normal, qui parle du temps qu'il fait et du programme de la journée.

On se lève, on prépare le café, on passe la tondeuse dans le jardin et coupe quelques bûches. Quinze minutes de jeu plus tard, on quitte définitivement le délire domestique à la Buster Keaton, l'estomac noué d'avoir tant ri face au décalage génial entre la maladresse du poulpe et la gaîté naïve de sa femme et de ses enfants, caricature de la famille modèle qui n'entrave que dalle au bordel que l'on met partout. Et soudain, on se retrouve dans un aquarium à devoir réussir des mini-jeux. Oui, des mini-jeux. Jusqu'ici, tout semblait indiquer qu'on allait suivre l'Octodad au cours de sa journée tranquille de papa banlieusard et sans souci. Or, faux : un némésis ne tarde pas à apparaître, qui fait changer le jeu de direction en en dénaturant totalement le propos initial. A partir de cet instant, le rythme devient totalement bizarre, syncopé, artificiel, prisonnier d'un game design qui abandonne la parodie de vie quotidienne pour puiser dans l'action, l'infiltration, et la Frustration avec un grand F. Celle de devoir accomplir des objectifs ennuyeux qui perdent le traitement humoristique des débuts. Celle de devoir subir un scénario bidon en forme de thriller vaguement rigolo qui bien vite effacera le sourire du visage du plus patient des joueurs. Les challenges imposés par le jeu sont de moins en moins drôles, de plus en plus forcés, les développeurs perdent de vue le délire initial en se concentrant sur des mécaniques plus sérieuses et en demandant de plus en plus de précision dans le contrôle des tentacules du poulpe.

Très vite, Octodad n'est plus marrant du tout. Les développeurs abandonnent bêtement le charme abrasif, l'humour génial des séquences d'introduction. Alors qu'il aurait été tellement plus drôle de suivre la journée type d'un poulpe en costard, on la joue sérieux, subissant des épreuves certes ingénieuses, mais surtout infiniment énervantes. La fin, surtout, véritable patchwork d'idées décousues qui auraient éventuellement fait bon genre dans un jeu d'action/infiltration, donne l'impression d'avoir été trompé sur la marchandise : on joue pour s'amuser, ou pour rager contre un boss gavant aux scripts foireux, contre des mini-épreuves certes bien trouvées sur le papier mais totalement anti-fun ? Passé le prologue, les exemples de séquences ratées abondent, posées là uniquement pour faire criser le joueur, sans doute parce que les développeurs croyaient que ce serait amusant, qu'ils épateraient la galerie par leur impressionnant répertoire de sévices. On ne sait pas trop ce qui leur est passé par la tête à changer ainsi de direction, à faire primer le challenge sur l'humour, la progression dramatique (totalement nulle) sur l'ambiance pourtant superbe. Plus on avance, plus le jeu perd de ses couleurs, de sa singularité, plus on se crispe sur la manette, plus on recommence, encore et encore, les mêmes passages gavants et sans saveur. Dommage, vraiment.
boulingrin87
5
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le 9 févr. 2014

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Seb C.

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