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Silent Hill 2
8.2
Silent Hill 2

Jeu de Bloober Team et Konami (2024PC)

Ergoter sur le type de remake qu'est Silent Hill 2 ouvre la porte sur le septième cercle des enfers des définitions impossibles. Essayons quand même : Silent Hill 2 est un remake qui est à la fois extrêmement fidèle, et extrêmement infidèle, au jeu original. D'un point de vue purement superficiel et de préférence en le regardant de loin, c'est un jeu bien élevé qui respecte ses parents et ne met pas ses coudes sur la table. Depuis la prise en main du personnage, jusqu'au cheminement global du scénario, en passant par les infirmières-zombis, la brume et la rencontre des différents personnages emblématiques, on est bien face à un travail d'amoureux de l'œuvre originale, qui, conscient des enjeux, n'essayent pas de faire leur malin et restent gentiment dans le rang. Dans l'exercice du remake, il peut être bon de remiser ses ambitions d'Artiste démiurge au placard pour se mettre au service plein et entier du jeu que l'on souhaite faire renaître. Ca a plutôt bien marché chez d'autres, alors pourquoi pas chez la Bloober Team ?


Les mauvaises langues avaient bien persiflé à l'annonce de la prise en charge de ce remake par ce studio polonais. Et pourtant, la décision de Konami de confier leur bébé à de petits indés qui-n'en-veulent était déjà finalement parfaitement logique dans leur propre histoire (rappelons que parmi les premiers, Konami eut le courage de laisser les clés de sa licence à un petit indé sympa du nom de Christophe Gans, pour le succès que l'on sait de l'adaptation en film). C'est d'ailleurs peut-être un peu Konami lui-même qui a lancé la mode chez l'industrie du cinéma voisine, quand elle s'est empressée de faire pareil : citons la licence Scream offerte à une fraction du collectif Radio Silence, l'ex-youtuber David F. Sandberg sur le Conjuring-verse, ou même prochainement nos Sébastien Vanicek et Florent Bernard (ex-Golden Moustache) choisis par Sam Raimi pour réaliser et écrire le prochain Evil Dead. Aussi à l'ouest soient les pontes de l'éditeur japonais depuis 15 ans (reste-t-il d'ailleurs seulement des personnalités de l'époque dans le navire ?), on peut sans doute leur reconnaître l'intelligence d'avoir, parmi les premiers, songé à externaliser leur licence auprès de partenaires passionnés, et le choix d'inviter la Bloober Team n'est vraiment pas une mauvaise idée sur le papier.


Sauf que voilà, la Bloober Team a du mal avec une chose depuis Observer, qui est sorti en 2017 : c'est un développeur qui n'arrive plus à faire des jeux qui font peur. "C'est ballot", comme dirait ma tata Ginette avec laquelle j'ai fait tous leurs jeux, du premier et excellent Layers of Fear à l'immonde reboot du même nom, en passant par Blair Witch et The Medium, et qui s'est à chaque fois endormie devant l'écran en me regardant jouer. Et en fait, le problème, en toute simplicité, est là. Tout comme The Medium, tout comme la plus grande partie de Blair Witch, tout comme les suites de Layers of Fear, Silent Hill 2 version 2024 est un jeu qui ne fait, tout bêtement, pas peur du tout. Dans le doute, j'ai vérifié que je n'étais pas devenu complètement neurasthénique ou insensible en relançant une paire de survival horror récents, qui ont heureusement immédiatement accéléré mon rythme cardiaque ; le problème n'est donc pas là, je suis toujours sensible à la flippette.


Non, le problème, comme sur The Medium tout particulièrement qui est le seul autre jeu de la Bloober Team à se rapprocher d'un AAA, est que ce remake n'ose pas. Il est beaucoup trop propre, à tous les niveaux. Il échoue magistralement à reproduire le sentiment d'angoisse désespéré à l'extrême limite de l'accident cardiovasculaire qui a guetté tous ceux qui ont joué au jeu original au début des années 2000. On n'y voit, ni n'entend rien de terrifiant, pendant une durée par ailleurs passée du simple au double ; ce qui provoque un ennui que peu de survival horror sont parvenus à exsuder ces dernières années. Les coupables de cette amorphie sont parfois évidents, parfois moins. Le principal d'entre eux est le bond technique effectué par cette "version" du jeu, qui troque logiquement le pouvoir suggestif de la bouillie de pixels de son ancêtre pour des environnements, monstres et personnages parfaitement nets, à la limite du photoréalisme. Tout ça, c'est donc bien joli ; mais en faisant ce transfert visuel, les artistes ont complètement zappé de contrôler que leur vision moderne reproduisait l'effroi que provoquait le jeu original. Et le compte n'y est absolument pas, puisque Silent Hill 2(024), en rejetant toute possibilité d'interprétation de ce qu'il montre, en refusant d'interroger le sens même de ce qu'il veut remettre au goût du jour, se contente de montrer James qui se promène dans des pièces sombres en tirant sur des monstres vraiment pas du tout inquiétants.


Qu'y a-t-il dans ces pièces sombres ? Des choses effrayantes ? Des créatures immondes ? Pire : du non-dit ? De l'incertitude ? Du doute ? Non, on n'est pas là pour s'emmerder avec ces choses-là. Parfaitement explicite, affublé de surcroit d'une caméra à la troisième personne qui fait que tout est toujours parfaitement visible autour de nous, ce remake, en obsédant sur le fait d'être à la hauteur techniquement, fait l'impasse sur la puissance suggestive de son aîné. La seule manière pour la Bloober Team de se montrer pleinement à la hauteur de l'entreprise aurait été de revoir la perception de l'horreur pour l'adapter à sa nouvelle direction artistique, mais c'est un travail qui n'a manifestement pas eu lieu ; du coup, on se balade tranquillement dans des bâtiments désaffectés, toujours flanqués des mêmes étagères, des mêmes lits d'hôpitaux, des mêmes armoires de médicaments, des mêmes cabines de chiottes, d'où tout mystère est exclu dès lors qu'on comprend que le moindre bout de décor, même lointain, même plongé dans le noir, peut être visité pépère en se rapprochant et si nécessaire en y braquant sa lampe-torche à batteries infinies. On n'y verra rien : encore des fauteuils, encore des plots, encore des vitrines, encore ces mêmes trois monstres au faible potentiel anxiogène, qu'on identifie plus comme des ralentisseurs chiants que comme des menaces réellement dérangeantes (aussi bien psychologiquement qu'en termes de gameplay, les munitions et objets de soin pullulant).


Même l'"autre côté", cette version alternative du monde censée être encore plus flippante et déliquescente et que l'on est régulièrement amené à visiter, est anormalement gentille. Dans l'original, on se retrouvait propulsé dans des dédales affreux de décors métalliques aux cadrages de caméra improbables, poursuivi par des effets sonores traumatisants. Dans ce remake... ma foi, c'est bien calme, les murs s'effritent un peu (dans une reprise soft de l'esthétique de l'excellent film de Christophe Gans), mais, bon sang, que tout cela est timide. La direction artistique, qui ressemble donc à s'y méprendre à celle de The Medium, est très propre du point de vue de la fidélité à la réalité, mais se montre intrinsèquement incapable de montrer la moindre chose d'un tant soit peu terrifiante, à l'exclusion de certaines séquences très ponctuelles qui ne pèsent vraiment pas lourd dans la balance. Peut-on être simultanément effrayant et photoréaliste ? Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques ? La reproduction du réel n'est-elle pas l'abdication de l'imaginaire ? A quoi sert ce remake ?


A cette dernière question rhétorique, je répondrai donc sans l'ombre d'un doute : " à rien". Ce n'est pas un mauvais remake. Ce n'est pas un jeu réalisé par des feignasses. Ce n'est pas un jeu qu'on rechigne réellement à prendre en main. C'est même un jeu sur lequel on peut prendre du plaisir. Notamment grâce à l'excellence du level design, un vrai bonheur d'exploration, d'orientation et de backtracking, avec plein d'énigmes proposant un bon flow et des dédales de pièces, avec clés à trouver et objets à combiner, souvent brillamment conçus. Aussi grâce à la qualité globale de la narration, pas bien malsaine, d'accord, mais dans l'absolu assez intéressante et suffisamment en rupture avec ce qu'on peut trouver habituellement dans le genre. En fait, en tant que jeu d'action/aventure à dominante horrifique, Silent Hill 2 s'en sort très bien et constitue sans guère de doute le meilleur jeu de la Bloober Team. Par contre, en tant que survival, horror, le plantage est spectaculaire. Pyramid Head n'est pas inquiétant. L'ensemble du casting n'émeut pas des masses. La ville voit son potentiel flippant se tasser après les deux premières heures de jeu. Même le brouillard est un non-sens : de cache-misère technique transformé en vecteur d'angoisse pour les premiers jeux, le voilà ici propulsé en nuage volumétrique ultra-complexe à calculer, qui fait ramer le PC et... ne fait pas peur puisqu'on voit parfaitement à travers. Du haut de ses innombrables contradictions, Silent Hill 2 gardera donc un mérite que nul ne pourra lui retirer. Aucun jeu n'a mieux posé que lui la question de la légitimité d'un remake, de ce qui le rend nécessaire, ou, au contraire, totalement superflu. La Bober Team (kurwa), à travers cette production incroyablement contrastée, nous rappelle qu'un bon remake doit non seulement reproduire le jeu d'origine, mais aussi l'intensité du sentiment qu'il a laissé à son époque. En réussissant aussi bien la première partie de l'équation, et en ratant aussi spectaculairement la deuxième, il devrait devenir un cas d'école.

boulingrin87
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le 10 nov. 2024

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Seb C.

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