Après deux hauts (épisodes 1 et 2), un milieu (épisode 3) et un bas (épisode 4) il y avait de quoi s'inquiéter sur le finale de la série, dont le prédécesseur direct a amorcé une sérieuse baisse de régime en même temps que soulevé des interrogations sur la pertinence du concept. Ces choix d'abord, qui relèvent davantage de l'illusion, où l'on ne s'écarte, en réalité, jamais du chemin prévu par les développeurs. Cette histoire ensuite, qui après la fureur s'engageait sur un arc narratif dangereux de mollesse et d'artificialité latente : l'obsession de revenir aux codes du comic, l'envie soudaine d'entasser des éléments jusqu'ici oubliés au risque de détruire l'équilibre établi (la base de survivants et ses personnages bouche-trou, la mise en pause du récit et l'évacuation des drames passés). Cette technique enfin, dont les approximations ont culminé sur l'épisode 4 qui a multiplié avec un aplomb désespérant faux-raccords et raccourcis malheureux. A la fin de celui-ci il ne restait à vrai dire presque plus rien de la tension accumulée, l'élastique semblait distendu, non parce que la paix tant recherchée avait enfin été atteinte, mais parce que le jeu tout entier semblait s'embrouiller les pinceaux au point d'en oublier ses priorités. Il y avait donc fort à faire pour ce finale, qui devait à la fois faire redémarrer le récit et le terminer ; trouver la force et l'harmonie d'une ultime accélération avant le point final.

Bonne nouvelle, et semi-suprise : il y réussit. Moins au démarrage qu'à l'arrêt, à vrai dire, puisque dans sa première moitié l'épisode s'exhorte comme prévu à retrouver le rythme perdu au prix d'un effort visible et parfois pathétique, celui de (re)dessiner en vitesse des personnages auparavant gommés par mégarde – quand ils n'ont pas tout simplement été qu'esquissés. La machine se remet en branle avec quelques toussotements au démarrage, prend le risque de quelques incohérences, mais ouf, elle le retrouve finalement, son rythme ; déjoue même, avec un brio respectable, certains pièges dans lesquels elle s'était elle-même empêtrée. Les personnages y reviennent à la vie, pour certains bouillonnant d'une étrange envie de rédemption brutalement interrompue : on les laisse comme ça, sur le mystère final d'un déclic intime qu'on a un peu de mal à s'expliquer, perturbé par cette dernière image que le jeu daigne nous laisser d'eux, entrouvrant l'accès à un vaste champ d'interprétations qu'on n'a guère le temps d'explorer... car l'escalade recommence, vive et fluide, ramenant aux meilleures heures de la série. On succombe de nouveau, avec délices, sous l'illusion d'une urgence enfin retrouvée. Dans une mécanique sûre, le jeu réussit à se séparer de ses personnages en interrogeant le joueur sur son réel rapport à eux : les connait-il vraiment ? Manière un peu facile d'éviter de répondre à certaines questions, certes, mais manière, surtout, d'éviter de reconstruire péniblement des caractères qui par le passé ont pu être malmenés par une écriture négligente. Et le fait est que ça fonctionne, chaque protagoniste a droit à sa conclusion personnalisée qui parvient à viser juste, la palme revenant aux plus récents arrivants que le récit fait s'évaporer dans un mystère très judicieux.

Les scénaristes retombent sur leurs pattes en réservant à chacun un sort qui, après coup, s'impose par sa justesse ; les trente dernières minutes tout particulièrement, au moment où l'ultime accélération semble se relâcher, cette façon qu'a le récit de se déliter et de s'assembler à la fois, le moment prend à la gorge avec une puissance folle, d'autant plus singulière que le jeu ose s'y affranchir de ses standards, coupe la musique et pose sa caméra, pour capturer avec la neutralité d'un radar un affrontement intense. C'est étonnant car ce climax redouté prend l'apparence d'une séquence civilisée, tant dans ce qu'elle montre que dans la façon dont elle le montre, où l'on croit quitter la sauvagerie, mais où en affleure en vérité une autre, plus terrible encore, cachée sous le masque d'une douceur et d'une bienséance auxquelles les scénaristes s'étaient jusqu'ici interdit le recours. Ce sont quelques minutes de frisson pur où l'on croit vraiment à une conclusion définitive, il aurait d'ailleurs été d'une classe infinie de clore le récit sur ce duel qui fait jusqu'à oublier Clémentine mais dans un ultime soubresaut Telltale ne l'abandonne pas, maintenant son souffle, embrayant sans pause sur dix autres minutes, finales celles-ci, d'une intimité terrible et cathartique où le joueur, déjà épuisé par une bataille avec le monde dissimulé sous les traits fatigués d'un homme brisé, doit s'affronter lui-même jusqu'à accepter sa propre fin. Cet emballement hallucinant fait monter de concert une urgence et un fatalisme qui s'entrechoquent dans une inoubliable violence des sentiments. C'est l'apogée du récit, c'est aussi son exact dénouement, cette accélération finale s'arrête en une fraction de seconde : instant à la fois tragique et beau, prévisible mais inévitable, où dans un ultime mouvement de gouvernail Telltale se réajuste tout à fait dans l'axe par lequel il avait commencé, dirigé à la fois vers l'ombre et vers la lumière, là où, au milieu des morts, les vivants s'accomplissent. C'est bien la morsure de l'amour qui est la plus douloureuse, laquelle vient éclairer d'un jour nouveau jusqu'aux fondations même du scénario, dans cette totale fidélité à l'esprit du comic cherchant à traquer, derrière le gore et l'effroi, la vérité sur le cœur des hommes.
boulingrin87
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le 23 nov. 2012

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Seb C.

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