Top films 2024

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… avec autant de témoignages contrastés, complémentaires, et autant de récits de transmission. Le rapport au travail est par nature unique chez les paysans, et tout particulièrement dans l'élevage (les vaches doivent être traites tous les jours et deux fois par jour par exemple), et c'est un vrai plaisir de voir ce rapport s'illustrer au cours du temps et des divers intervenants, jeunes et vieux, d'hier et d'aujourd'hui. C'est aussi un documentaire qui montre beaucoup de gestes de la ferme, l'alimentation des jeunes veaux, l'ouverture des étables au début de l'estive, le fauchage des champs, la délimitation des parcelles de pâturage... L'occasion aussi de constater que deux des trois frères sont capables de reconnaître individuellement chacune des vaches et de les appeler par leur prénom — il y en a plus d'une centaine.

C'est un récit également économique qui aborde les particularités de l'exploitation, protégée par l'AOP du Reblochon et par une régulation empêchant Lactalis (multinationale française prédatrice de l'industrie agroalimentaire) de détenir un monopole sur l'appellation. On voit les constantes sur 50 ans, comme par exemple la taille du cheptel (une centaine de bêtes) ou la dimension des bâtiments, et on décèle les évolutions majeures, comme la mécanisation et l'automatisation de certaines tâches — l'introduction des robots de traite par exemple qui sont très chaleureusement accueillis car chez eux ils soulagent l'humain sans augmenter les cadences. Quand on constate la dimension spartiate de la cuisine du trio à la fin des années 1990, on conçoit aisément que l'entreprise familiale réinjecte les recettes dans les outils de production pour améliorer les conditions de travail. Très clairement, la situation est particulière et pas du tout représentative de l'ensemble du monde paysan et de la crise qu'il traverse.

"La Ferme des Bertrand", enfin, cumule les témoignages passionnants et émouvants. Les frangins taiseux qui ont donné toute leur vie à cette ferme composent un portrait riche et ambivalent, avec d'un côté une certaine fierté sobre devant le travail accompli et les choix assumés, et d'un autre côté un regret solide mais dissimulé concernant la dimension humaine — André exprimera de manière très explicite ce regret d'être passé à côté d'une vie, d'une famille. Et c'est d'une beauté renversante.

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"Les Vieux" prend le parti de ne jamais s'appesantir trop longtemps sur chaque personnalité, et avance comme un kaléidoscope de portraits fugaces. Cela peut dans un premier temps générer un certain inconfort, en lien avec l'absence de construction d'une potentielle relation avec eux, mais dans un second temps cela participe à former une mosaïque de témoignages passionnants, unis dans leur retranscription d'une mémoire conséquente. Leur état de santé, physique ou mentale, est très variable, certains entretiennent des rapports sociaux quotidiens là où d'autres vivent dans un isolement parfois pesant, mais tous ont survécu aux aléas du siècle écoulé, tous ont été marqués par les guerres, les maladies, le travail. Il y a cette femme qui souhaite donner son corps à la science (maintenant qu'elle ne peut plus faire don de ses organes devenus trop vieux), cet homme qui fait le récit de ses traumatismes de guerre (Seconde Guerre mondiale, Indochine, Algérie). Ceux qui attendent paisiblement la mort tout en l'exprimant de manière claire, posée, déterminée. Celles qui sont profondément fatiguées de vivre et qui l'expriment sans détour dans un sentiment d'inutilité assez marquant ("Je n'ai plus aucune utilité, on ne devrait pas vivre aussi vieux"). Et celles qui débordent d'énergie et d'enthousiasme en criant "Je vais mourir en hurlant !".

Drexel considère Werner Herzog comme un maître, et comme lui recherche davantage la "vérité extatique" que la "vérité du comptable" dans ses documentaires, il cherche à aller au-delà de ce que la simple énumération de petites vérités factuelles pourrait produire, sans travestir les témoignages. Et de fait, il se dégage de ces portraits des conditions tellement disparates, des considérations tellement contrastées, entre ceux qui veulent profiter de ce temps libre comme un enfant et ceux qui désirent plus que tout mourir, entre cet ancien baron déchu de sa noblesse et cet ancien mineur de fond. Cette somme conséquente de souvenirs et d'expériences, agencée de la sorte, mise de cette façon face au vide de la disparition prochaine, ne laisse résolument pas indifférent.

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Et c'est là où la mise en abîme peut devenir passionnante (personnellement ce film m'a hypnotisé), puisque les trois réalisateurs doivent constamment gérer la configuration des entretiens de joueurs à l'intérieur du jeu comme ils devraient le faire en réalité, c'est-à-dire parcourir les longues distances qui les séparent des personnes à interviewer, gérer les conditions d'éclairage et de prise de son, s'assurer que personne de manque d'eau ou de nourriture (au risque de mourir)... Ils se présentent aux joueurs en toute transparence comme des documentariste, vêtus d'habits sur lesquels sont inscrits le mot "PRESS", et sans arme — la quasi intégralité des joueurs sont armés et peuvent mourir à tout moment.

Le tournage s'est étalé sur plusieurs années, marqué par l'épisode des confinements de 2020-2021, et a permis de rencontrer des individualités et des communautés extrêmement diverses. La frontière entre le jeu et la réalité s'effacera très souvent, de manière assez stupéfiante, dès lors qu'un véritable échange s'installe et laisse se développer des témoignages étonnants. Un groupe structuré autour d'une cheffe charismatique et violente, principalement occupé à tuer d'autres joueurs, très immature dans son comportement et simplement heureux de "pouvoir faire ce qu'il veut" dans cet univers. Des personnes plus isolées qui évoquent leur angoisses profondes, l'impact de la pandémie sur leur activité professionnelle. Une échappatoire à un quotidien usant, un domaine virtuel dans lequel des jeunes ou des parents se jettent dès qu'ils sortent du boulot. Des communautés qui semblent se préparer de manière extrêmement sérieuse au futur apocalyptique d'une fin de monde où la survie deviendra l'activité principale — autant de passages incroyablement troublants au cours desquels on ne sait vraiment plus dans quel niveau de réalité on se situe.

Plus le film avance et moins on est sûr de son objet, documentaire sur jeu-vidéo survivaliste ou sur le survivalisme lui-même. L'immersion dans ces espaces numériques arbore des atmosphères tantôt angoissantes, tantôt poétiques, tantôt mélancoliques. On alterne entre des lieux reposants en compagnie de personnes agréables et amicales, et des zones menaçantes où une tension très étrange emplit l'espace. On n'a aucun mal à imaginer que les sentiments et les émotions sont intenses dans cet univers numérique — ...

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... on assiste à une cérémonie tout ce qu'il y a de plus sérieuse en l'honneur d'un chef de clan disparu, certains accordent autant d'importance aux êtres vivants du jeu que ceux dans la réalité, des retrouvailles après des mois d'absence se font émouvantes, une personne et son avatar tous deux endormis sont réveillés... Et régulièrement ce monde se montre perméable aux événements IRL, à travers les résidus sonores qui filtrent par la bouche des personnages, des bruits dans la rue, des conversations intimes, un chien qui aboie. De quoi entériner cette continuité déroutante entre les deux horizons.

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Même si cette constellation d'ingrédients bigarrés compose quelque chose qui peut s'apparentà une caricature abstraite de cinéma arty et indie, un peu coincée dans sa structure répétitive de chasse à l'œuf tacheté, comportant quelques longueurs caractérisées (par exemple la scène de la danse), l'hommage à l'enfance et à son imaginaire me paraît malgré tout sincère tout en réussissant à créer une atmosphère bariolée captivante et assez insolite.

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… On ne peut pas en dire autant de Chris Hemsworth, malgré sa prothèse qui lui donne des airs improbables de Lambert Wilson : même si j'apprécie le fait qu'il ne coche pas les cases du parfait gros méchant, ni détestable ni appréciable, il y a malgré tout quelque chose de raté quelque part que je ne saurais pas vraiment définir. Il fait un peu tâche dans le décorum crasseux qui l'entoure. Mais ce n'est que ça, une alternance entre des choses réussies (les ellipses, les changements de lieux, la chorégraphie des assauts, une incertitude quant à la position morale des différents pôles et le devenir des personnages) et d'autres moins (l'absence de renouvellement et la perspective d'un matraquage au sein de la saga en cours de construction).

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Manifestement le plus gros problème a trait à Bill Skarsgård, et à son personnage de comte Orlock. La moustache c'est non. Autant la gradation dans la révélation de son physique est convenue mais pas mal gérée, autant on passe à côté d'une véritable emprise à cause de son look un peu trop plastifié, rigide. Je trouve que le personnage n'épouse pas la fable gothique qu'il est censé porter, alors que pour le reste son obsession pour une jeune femme, le piège tendu à son mari, l'horreur qui se répand dans son sillage, tout cela passe assez bien. C'est d'autant plus dommage que je trouve que le film distille de manière intelligente son récit de soumission féminine (très beau tableau servi en dernier plan d'ailleurs, j'aurais été déçu de pas pouvoir mettre pause au cinéma) en parallèle de la violence barbare du harceleur. Il y a malgré tout quelque chose d'impersonnel là-dedans, reflet d'une époque incapable de se débarrasser de ses références je ne sais pas, en tout état de cause il me semble que le film s'enlise dans l'excès explicite (la bande-son notamment vire au son Zimmer de blockbuster) à mesure que le monstre se dévoile, et c'est bien dommage. Potentiel immense, motifs macabres savamment distillés, mais avec cet amer goût d'inachevé.

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Dans les autres rôles, il y a les anecdotiques J. K. Simmons (sympa mais sous-exploité) et Kiefer Sutherland (parfaitement inutile). Et puis il y a Toni Collette, l'avocate de l'accusation et candidate au poste de DA : elle porte de son côté d'autres questionnements moraux, puisque s'affronteront ses intérêts personnels et son éthique — le plan final tranchant avec le reste annule le doute qui subsistait quant à son positionnement. Au-delà de ça, on sent bien que Eastwood entend capter le dysfonctionnement d'un système judiciaire, avec des failles énormes (et très invraisemblables mais passons) et une sorte d'enquête expéditive à charge pressée de confirmer la culpabilité du suspect idéal. Les symboles sont lourds (l'homme hanté par la mort et la vie, celle du condamné et celle de son enfant, la figure de la justice avec sa balance exhibée régulièrement), il y a un certain académisme dans la démonstration, mais c'est un film de Clint inespéré sur le thème du citoyen modèle et autres pièges de nos représentations vis-à-vis des institutions. Pas un sommet d'ambiguïté morale, mais un beau récit qui aborde les intrications des dilemmes, coercitions et inhibitions structurant les rapports humains, désespérément.

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Finalement j'ai passé la séance à réfléchir à ce qui distinguait dans ce registre (la SF à gros potentiel d'ambiance, blindée de costumes et de bizarreries) le réussi du ridicule, et si je doute que la version de 1984 était considérée comme un chef-d'œuvre à sa sortie, j'ai le sentiment que c'est uniquement des torrents de frics pour rendre la chose sérieuse qui sauvent le film du naufrage, car dans le fond c'est d'une bêtise sans nom — et je parle bien de l'adaptation. Franchement les thèmes brassent les conspirations et les révolutions comme les personnages secondaires défilent, c'est-à-dire tout en superficie, sans enjeux dignes de ce nom. Les différents personnages sont des machines qui obéissent aux règles imposées par un scénario déficitaire, et en marge de ça, les romances sont nazes, les combats sont nazes, et les tentatives d'humour via le perso de Javier Bardem rappellent les pires heures de Star Wars.

Finalement, sous le poids des dialogues archi sentencieux qui sonnent creux et les nombreuses séquences pour expliquer bêtement qui fait quoi et pourquoi (avec option "je suis ton grand-père"), ce qui restera relèvera du détail, des séquences à l'esthétique singulière (l'arène en noir et blanc, au hasard). Chalamet en néo-prophète, on n'y croit pas une seconde malgré les appuis techniques pour lui faire une grosse voix, les bad guys autour de Stellan Skarsgård sont nullissimes, et c'est finalement du côté des Bene Gesserit en sorcières mystérieuses qu'il aurait fallu approfondir le développement. Ça aurait pu être beaucoup plus fascinant.

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Tout ce beau monde progressera le long d'une enquête retorse les menant jusqu'en Corée, jusque dans ses secrets antiques enfouis sous terre — occasionnant une plongée douloureuse dans l'histoire conflictuelle avec le Japon et sa colonisation au début du XXe siècle. Un personnage possédé délivrera la clé de compréhension du mystère : " Le renard a brisé la colonne vertébrale du tigre". La symbolique restera très fort tout au long de l'intrigue, entre les divers rituels pratiqués pour exhumer des corps, les coups de malchance (apparemment, couper la tête d'un serpent en pleine exhumation, c'est une très mauvaise idée), la cupidité des uns (certains coffres / cercueils auraient manifestement gagné à rester scellés) et la vengeance des autres (il est notamment question d'un samouraï antédiluvien pas hyper jovial). Dommage que Jang Jae-Hyun n'ait pas réussi à canaliser le crescendo en intensité jusque dans la seconde moitié qui investit pleinement le registre de la folk horror.

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L'intérêt principal réside dans le jeu macabre qui s'instaure progressivement entre les deux parties, façon piège se refermant sur les deux petites souris — avec une horreur de plus en plus détaillée, Grant et tous ses petits subterfuges, brrrrrr. Bon après, malheureusement, le débat s'oriente paresseusement autour d'analogies (l'histoire du Monopoly et de la chanson Creep, symboles de plagiats et allégories de la religion moderne) et de confusions communes entre Voltaire et Spider-Man ("grands pouvoirs et grandes responsabilités"), entre autres. La résolution est en outre bien trop téléguidée, avec l'écriture de la fuite d'une des deux particulièrement ratée (elle déjoue toutes les attentes trop parfaitement). Le huis clos sous forme de thriller atypique aurait gagné à exploiter la carte du malaise autour des fausses démonstrations et des logiques fallacieuses, plutôt que de s'empresser de terminer sur du frisson académique et des formules discursives tape-à-l'œil qui remettent le film sur des rails un peu tristes.

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La thématique du vieillissement des corps, et tout particulièrement du corps féminin vu au travers des yeux et des industries masculines (Dennis Quaid en archétype grotesque de Weinstein), n'a rien de nouveau. Les angoisses qui y ont trait sont déjà parfaitement connues, pas de surprise à ce niveau-là dans le comportement de Demi Moore qui signe un pacte faustien et qui se fait peu à peu bouffer par son double idéal (Margaret Qualley). Le film nous bombarde de plastiques féminines, qu'elles soient lisses ou ridées, fermes ou flasques, ça tire à tout-va au bazooka chargé au cliché lourd — tout converge en un crescendo de la métamorphose pour aboutir au déversement d'hectolitres de sang (littéralement 1 hectolitre de faux sang a été utilisé). J'apprécie sincèrement la volonté de repousser les limites mais il arrive quand même un moment où le film est à bout de souffle, avec de nombreuses séquences pénibles (la baston entre les deux, Quaid en caricature de porc qui bouffe ses crevettes en extra grand angle déformant, effets de montage à foison, etc.) et un discours finalement assez limité sur la pourriture inexorable des chairs. En tous cas, un film extrêmement généreux en visions d'horreur, avec ses moments drôles et gores (Moore en cours de zombification qui cuisine de l'aligot-saucisse, un grand moment), et son explosion carnavalesque finale.

Bonus : la scène de twerk de trop, qui s’achève par l’extraction d’une cuisse de poulet via le nombril.